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Ivsan Otets · pour Akklésia

Le tétragramme · La traduction de YHWH (יהוה)
SUR UN FORUM GÉNÉRALISTE

Extrait du texte de base présenté sur le forum : Devant la traduction erronée du tétragramme YHWH par « JEHOVAH », il faut rappeler que les lettres J et U ont été inventées vers 1270 pour résoudre le problème de mots tels que « SERVUS » et « JUVENIS », lesquels s’écrivaient en latin ancien SERVVS et IVVENIS. De plus, la lettre « J » n’existe ni en grec, ni en hébreu.
En outre, tous les commentaires et encyclopédies reconnaissent que « Jéhovah » est une construction inexacte du tétragramme. La Jewish Encyclopedia affirme par exemple que « cette prononciation est grammaticalement impossible, que la forme “Jéhovah” est une impossibilité philologique. »
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Il est certain que le tétragramme est le nom de Dieu le plus répandu dans l’AT (plus de 6000 fois). Cependant Dieu y est aussi mentionné sous bien d’autres noms tels que : Elohim, Adonaï, El, Eloah, Shaddaï, etc.
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De plus, il n’existe aucune preuve que le tétragramme était utilisé ou reproduit dans le texte du NT. Aucune version grecque (y compris celles des TJ) ne contient le tétragramme. Dans le Nouveau Testament, Jésus appelle Dieu « Père », introduisant une nouvelle dimension dans la relation avec Dieu. Dieu n’est plus lointain et redoutable, mais proche et plein d’amour. Jésus n’a jamais utilisé le tétragramme, même lors de sa mort (Matt. 2746). Lorsqu’il déclare : « Je leur ai fait connaître ton nom » (Jn 1726), il ne peut être question du tétragramme que tout Juif connaissait, mais bien de « Père » (1Jn 213). Soulignons que le NT contient 260 fois le nom de « Père » et jamais le terme Jéhovah ou Yavhé. Ce qui montre que Dieu veut être connu sous le nom de Père.

Akklésia (LCJ) : S’interroger sur la traduction du tétragramme YHWH est en vérité poser une mauvaise question ; pour ne pas dire une question stupide, c’est-à-dire religieuse. Car la question ne fait que s’embourber davantage à force de la creuser.
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La question qu’il faut se poser serait plutôt la suivante : « Dieu a-t-il un nom ? » Car c’est bien par là que commence l’histoire de ce fameux tétragramme ! En effet, Moïse questionne Dieu ainsi, anticipant sur ce que la foule voudra savoir : « S’ils me demandent quel est ton nom, que leur répondrai-je ? » (ex. 313).
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La question du nom de Dieu est donc une question du collectif, non de l’Individu. Or, un collectif n’est jamais issu d’un Dieu personnel, uniquement d’un système impersonnel.
Pour que naisse un homme de ce système – une personne – c’est-à-dire un fils, il faut qu’il trouve un Dieu personnel ailleurs, hors des limites que lui impose le collectif. Il faut que ce fils brise les cadres des généralités qui l’enserrent, qu’il en sorte, qu’il meure à toutes les communautés. C’est ainsi que sa relation avec son prochain devient infiniment plus riche ; dès l’instant où l’autre est précisément animé de la même liberté que lui, dès lors qu’il est un frère. Mais en ce cas, cet homme libre vivra toujours dans une sorte d’incognito, sacrifiant la manifestation de sa liberté au risque d’être une pierre d’achoppement pour les êtres grégaires dont la vie dépend encore d’une collectivité. Il risque donc continuellement le reniement ouvert du plus grand nombre.
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De fait, un tel être refuse qu’il y ait des Grecs, ou des Juifs, ou des Hommes, ou des Femmes, etc., etc. Il refuse toutes ces formes de vie impliquant une généralité, affirmant en cela que « Dieu n'existe que pour l’individu » (Kierkegaard).
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C’est pourquoi un Dieu personnel est d’autant plus absent lorsqu’une foule veut qu’Il existe pour elle. Il fuit dès l’instant où la masse veut qu’il devienne sa tête. De même, plus une collectivité revendique un Dieu dont le but serait de la faire exister en tant que corps, plus elle dit que ce Dieu est impersonnel. Avec le temps, ce corps deviendra inévitablement hypocrite. Pourquoi ? Car voyant l’impasse où il se trouve, il affirmera que chaque membre conserve cependant une identité propre, arguant par exemple que le pouce peut avoir sa propre existence par rapport à un index. C’est ainsi qu’il ment ! En effet, le pouce et l’index ne sont pas sans le corps ; ils n’ont pas la vie en eux de manière autonome ; c’est le collectif impersonnel qui leur assure la vie, et s’en détacher les condamnerait à mort. En somme, la chose est fort simple : c’est le collectif qui est Dieu !
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L’idée d’un système impersonnel est précisément ce que l’on retrouve dans le vocable « elohim », lui-les-dieux comme le traduit Fabre d’Olivet ; c’est-à-dire la Nature, avec ses lois et ses nécessités face auxquelles la race humaine doit se soumettre partout et toujours. Et l’homme qui n’accepte pas d’alliance avec ces dominations sera mis à mort au plus vite.
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Or, dans le passage d’Exode et suite à la question de Moïse, il s’avère que la réponse divine est précisément : « Je n'ai pas de nom ». C’est-à-dire « Je ne m'appelle pas Elohim ». Comprenons par là que Dieu n’est pas cette organisation du Créé, celle-ci n’est que son ombre. Mais ce « je n'ai pas de nom » a été transformé dans les forges ésotériques et religieuses pour sculpter un nom à Dieu ; un nom qu’il n’a pas. Car il est bien connu que celui qui détiendrait le soi-disant Nom divin détiendrait Dieu ; il détiendrait son identité, soit donc Sa puissance : quel enjeu extraordinaire pour le religieux !
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Enfin, il s’avère qu’en formulant Dieu par un Nom unique et immuable, on s’enferme soi-même dans le statut de créature, dans un statut où l’être vivant est dépourvu d’un nom propre pour d’abord appartenir à l’identité de sa race. C’est un statut où l’appartenance au Nom collectif bride et soumet, avec plus ou moins de tolérance, le sens existentiel de chacun. L’homme est ici dans un faux sens existentiel ; il est dans un leurre de sa personnalité, laquelle devra continuellement se limiter et mourir au nom de l’identité collective ! Nous ne sommes pas ici dans un rapport où un Père libère la vie individuelle de son Fils, mais dans un rapport système Créateur & Créatures. Nous sommes là avec des créatures qu’il faudra absolument lier en masse au système généraliste — afin d’augmenter sa force ! En cas contraire le système se dissiperait comme une simple vapeur fantomatique. On a ainsi sculpté une idole en forme typographique, en forme de 4 lettres, comme les 4 points cardinaux de la puissante Nature qui maintient ses créatures sous sa dépendance.
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Mais pourquoi le nouveau statut de fils individuel appelle-t-il dieu « Père » ? Parce qu’un fils ne connaît jamais son père par un nom propre, sinon il n’est pas son père. Il connaît son père à sa voix, à ce qu’il EST, parce ce que le fils, lui aussi, Est tel le père. Il est libre d’être ce qu’il veut être, n’ayant pas une identité gravée dans le marbre, une identité administrative en somme, et qui l’empêcherait d’être autrement, lui imposant d’être ce nom à jamais et personne d’autre !
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Ainsi, tous ces pseudo-judaïsants chrétiens font violence à Dieu en s’agenouillant devant l’idole du tétragramme. Ils veulent posséder Dieu et obtenir de son pouvoir en l’affublant d’une carte d’identité qu’il n’a pas. Que font-ils d’autre sinon affirmer qu’ils en sont encore à une dimension idolâtre de Dieu ? Ce sont des idolâtres ni plus ni moins. Pour briser l’idole, il faut briser le tétragramme, il faut accepter que son énigme se résoudra au fur et à mesure où précisément on ne la reconnaîtra plus comme telle. La recherche de cette énigme est elle-même le sortilège puisque ce nom n’existe pas ! Le tétragramme, en dévoilant ainsi sa lacune, ne sert en vérité qu’à évoquer le Père.

1er intervenant : Belle démonstration LCJ ! D’ailleurs dans le judaïsme, dont je suis issu, il est interdit de prononcer le nom de Dieu. Mais les humains ont tellement besoin d’une idole que les juifs religieux ont tourné l’interdiction en disant « monseigneur », dans les prières. Ah là,là ! Nous sommes encore loin de la maturité.

2e intervenant : Le mot Elohim est simplement le pluriel de El (Dieu) ; on retrouve d’ailleurs ce mot utilisé dans la Bible pour parler des faux dieux. La traduction « lui les dieux » est donc abusive.
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Vous nous donnez ici la version Fabre d’Olivet qui prétendait être le seul à comprendre correctement l’hébreu. Il y a néanmoins un détail qui dément sa traduction, si le tétragramme veut dire « je n'ai pas de nom », il se retrouve néanmoins utilisé comme nom près de 7000 fois dans les écritures hébraïques ! Si Dieu n’a pas de nom, pourquoi n’est-ce pas une formule neutre comme El ou Elohim qui est utilisée systématiquement ?
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« Détenir Dieu », « avoir Sa puissance » ???!!!! Voila bien des notions qui n’ont rien à voir avec la Bible ! On navigue ici en plein ésotérisme, le nom de Dieu n’est pas une formule magique qui change son utilisateur en le dotant de pouvoirs surnaturels !
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En disant « le fils, lui aussi, est tel que le père est », vous ramenez Dieu au stade de père charnel, à une créature à qui nous pouvons nous comparer ! Mais si Dieu nous aime comme un père, si nous Lui devons la vie, nous ne pouvons en aucun cas devenir comme Lui !
Voyez-vous j’utilise le nom de Dieu ainsi que Père et je me sens proche de Lui mais jamais je ne me permettrais de me comparer à Lui. Il est le créateur tout puissant et les humains sont des créatures.
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Vous dites : « Ils veulent posséder Dieu en l’affublant d’une carte d’identité qu’il n’a pas. » Je vous répondrai que « c’est de l’abondance du coeur que la bouche parle. » (luc 645). Pour ma part l’idée même de posséder quelqu’un et à plus forte raison Dieu m’est totalement étrangère. J’ai même du mal à imaginer qu’on veuille posséder un humain alors Dieu…

Akklésia : Vos paroles démontrent combien vous êtes enclos dans le dogme ecclésial, et qu’il vous est à ce jour impossible de lire le texte biblique sans que l’Église ne vous tienne la main, vous mettant la baguette dans le dos pour vous recadrer.
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Merci cependant de confirmer que « le mot Elohim est le pluriel de El (Dieu) » ! De fait, je ne vois pas en quoi ce féminin pluriel « elohim » ou « elokim » serait abusivement traduit par « lui-les-dieux ». Vous êtes de mauvaise foi. Nous pourrions aussi dire « elle-les-déesses », ce qui ne serait pas mal non plus d’ailleurs. En effet, les sciences et les lois de la Nature sont telles des déesses dominant la réalité. Soit donc : Elle pour la Nature, et les déesses pour ses connaissances et ses lois.
En outre, c’est ce que ne cesse d’expliquer la tradition juive : « Elokim a la valeur numérique de Nature. Elokim c’est le Créateur, le Maître de toutes les énergies créatrices disait Rachi. C’est Dieu qui se révèle dans la Nature. » Léon Ashkénazi précise même de la manière suivante : « C’est Elokim qui désigne Dieu comme Créateur. Puis c’est un pluriel parce qu’il s’agit de l’unité de toutes les forces ou de toutes les manières d’être de la Force divine. Le mot de Elokim c’est l’ensemble de toutes les forces du divin qui sont autonomisées dans chacune des idolâtries, car chacune met en évidence une dimension de la divinité au détriment de toutes les autres : l’hypertrophie fait l’idole. »
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C’est pourquoi la Nature est une matrice d’enfantement provisoire. Une matrice donnant des gènes charnels, mais incapable de donner l’esprit. Mère-nature est donc une mère-porteuse, car pour naître spirituellement il faut naître de manière virginale, sans l’héritage génétique de la nature.
La matrice de notre nature terrestre nous fait donc violence pour nous pousser hors d’elle, pour que nous mourions, telle une graine. La Nature spirituelle à-venir ne reçoit ainsi rien de la Nature terrestre, sinon la mort. Elle reçoit une nouvelle nature par l’Esprit, même un nouveau corps lui est donné par l’Esprit, devenant dès lors corps spirituel et incorruptible. Le mot « Elohim », que le judaïsme traduit souvent par « les forces », représente dès lors une armée divine. C’est l’Armée des forces de la Nature, avec ses lois du bien et du mal, avec ses jugements sur les consciences, etc., etc. Elohim est une justice terrestre rigoureuse, impitoyable. Elle est incapable de pardonner l’impardonnable. Tout le propos du NT étant de rechercher une autre justice : celle du Royaume des cieux.
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La réponse faite à Moïse évoque dès lors le dépassement du Créateur, le dépassement de cette unité des lois et des forces de la Création. Cet Elohim-Créateur est l’ombre du Dieu vivant et caché, lequel Dieu veut déchirer ce voile et se révéler. Il use ainsi de ce voile dont il se sert et qu’il fait lui-même émaner, tant pour tromper les uns que pour se manifester aux autres, à ceux qu’il fait entrer dans cette lutte contre l’illusion du réel : la Loi est donc bonne en cela, car elle porte déjà en elle une puissance divine ! Mais elle n’est qu’une préfiguration ; et elle doit passer et s’écarter lorsque se révèle le vrai visage de Dieu. Le tétragramme évoque donc Dieu au-delà du bien et du mal, au-delà de la Loi ; un Dieu qui ne se capte plus par des noms et des concepts terrestres. Un Dieu qui n’est plus enclos selon les valeurs limitées du terrestre. Ainsi son nom doit-il refléter l’infinie possibilité de son Être ; c’est-à-dire qu’il n’a pas un nom qui soit définitif. Dieu est en train de dire à Moïse : « Je suis une personne et je suis sans fin. Ainsi ai-je toutes les identités possibles, et je ne m’enferme dans aucune pour l’éternité. Je suis et deviens ce que je serai. C’est pourquoi celui qui me connaît m’appelle Père, témoignant par là qu’il me connaît dans la rencontre, avec ses dynamismes et ses infinies possibilités de changement. » C’est ce qu’évoque le tétragramme.
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Cette réponse renvoie donc l’homme à ce choix :

›› Ou bien il retourne à un nom générique de Dieu tel qu’Elohim ou encore Yhwh, Amon, Brahma, Gaïa, Allah… un nom universel, définitif, concevant Dieu comme Créateur tout-puissant seulement, et impliquant que l’homme soit, face à lui, seulement une Créature dans le créé, mais jamais un Fils qui puisse s’asseoir à sa droite. C’est-à-dire que l’homme, tel un cabillaud dans un banc de cabillauds, n’est ici que l’exemplaire d’une race terrestre, et de fait doit la soumission à la religion du banc de cabillauds. C’est-à-dire qu’il se doit aux lois générales, au système politico-moral, à cet universel venu du « dieu » et dont dépend toute sa race. Le général fait ici office de sacré, de corpus du divin, et quand il cherche un nom à son « dieu », ce n’est que dans une tentative de rendre personnel ce « dieu » qui est en réalité encore impersonnel. En effet, un tel « dieu » ne peut se rencontrer autrement que « par et via » un système général, un ensemble de lois, une nation, une religion, etc. De plus, il se refuse à quiconque n’accepte pas le sacré du système, à quiconque condamne le « statut de corps divin » dont se revêt la masse qui s’organise en religion ou en nation. En vérité, Dieu est ici caché derrière un voile ! Et ce qui porte le nom d’un dieu n’est que l’ombre de Dieu, c’est-à-dire son refus de se révéler ! Un tel système est vrai pour tous, partout et pour toujours et considère toujours le Tout plus grand que l’Individu. Si Dieu n’est pas ici dévoilé, c’est parce qu’Il n’est pas encore personnel ; parce que la personne ne prime pas encore sur la masse, parce que la théologie n’est pas encore essentiellement existentielle, akklésiastique, mais qu’elle est encore politique et ecclésiastique. L’individu qui se trouve dans le sein de sa race, de sa nation, de son église, et sur laquelle règne son dieu, sur laquelle il fait planer un nom générique qu’il s’invente, c’est un individu qui dépend totalement de ce média qui le porte. Il n’a pas « réellement » d’autonomie et de liberté parce qu’il est encore soumis au Tout, à genoux au pied d’un nom générique du dieu qu’il craint même de prononcer. Il n’a pas la liberté en vérité, mais il peut, par contre, sur cette route, prendre conscience de son manque. C’est en cela, et seulement en cela que la posture religieuse a du bon : quand elle va vers sa propre fin, quand elle pousse l’individu vers l’Esprit, vers l’enfantement, vers la sortie. Vers le Christ en somme : « J’appelle par leur nom mes brebis qui m’appartiennent, et je les conduis dehors. » (jn 103). Au dehors de quoi ? Des bergeries, c’est-à-dire des systèmes universels, l’église y compris qui elle aussi se prétend système sacré et vérité universelle.

›› Ou bien donc, l’individu veut atteindre sa liberté et rencontrer Dieu au-delà de la foule, derrière le voile d’un nom générique de la divinité : dans l’intimité de sa chambre. Il veut en somme que Dieu s’incarne à son niveau et se fasse homme. En ce cas il lui faut briser le corpus du système religieux au sein duquel le divin se manifeste de façon impersonnelle pour tous. Il lui faut, pour lui seul, briser l’ekklésia et sa prétention au sacré. Et il lui faut briser le nom de Dieu en luttant contre le Créateur et contre tout principe qui s’arroge un droit universel. Il se doit, en quelque sorte, d’entrer dans une forme d’athéisme puisque, soudain, Dieu n’existera plus pour lui en tant que Créateur universel et génial forgeron du créé. Il sera et sera seulement le Père ; Celui qui ne crée pas mais qui enfante de Sa propre nature, de Son propre Esprit. Celui qui enfante chaque fils individuellement, désirant en somme faire de chaque-Un une race. C’est-à-dire donner à chaque-Un un nom particulier unique qui est au-dessus du Tout et au-dessus même du Créateur et de ses lois universelles. De cette lutte avec le Créateur l’homme acquiert donc un nouveau nom, à l’instar de Jacob. En sortant du Dieu-créateur, l’individu sort de l’Homme-créature et il entre dans cette nature que le Christ aimait à appeler le « Fils de l’homme ». Cette nature divine par laquelle le Christ lui-même pouvait ordonner l’impossible à la réalité, à la création, au créé et aux créateurs qui s’y soumettaient alors. Le tétragramme renvoie à cela tandis qu’il refuse à l’homme de donner un nom au divin, tandis qu’il parle uniquement de l’existence. C’est ainsi qu’il prononce le verbe « être » au sujet de Dieu, et un verbe qui n’est pas conjugué dans un quelconque temps d’ailleurs — il n’existe pas de présent en hébreu biblique. Le refus du tétragramme renvoie l’homme à naître et à être ce qu’il est ; à exister au-delà de toutes les vérités qui veulent déterminer son être, qu’elles soient ecclésiastiques, morales ou politiques. À entrer dans une Autre nature de l’Être. Une nature impossible et qui n’est pas à notre portée. Une nature qu’on ne peut recevoir que gratuitement, précisément de la part du Père, et qui ne sera manifeste que dans l’acte de la résurrection. Car la nature du Père, c’est très exactement celle du Christ ; et Le Christ ne sera vraiment connu que lorsqu’il nous montrera son vrai visage, à savoir celui du Père — une réalité qui ne sera atteinte que dans la résurrection. Ainsi chaque fils de l’homme sera « seul de sa race », pour reprendre l’expression d’un écrivain français. La fraternité et l’amour prennent ici un goût indéfinissable. En effet, chaque frère devient unique, impossible à remplacer ; il n’est plus cet exemplaire de la race dont on peut faire l’échange en cas d’absence. Il est indispensable, il est aimé !

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De fait, lorsque vous dites que nous ne pouvons pas devenir comme Dieu, ni nous comparer à Lui, et qu’il nous faut en rester au stade de Créature, soit donc d’animal évolué, c’est le Christ lui-même que vous dites être dans l’erreur ici. C’est à lui qu’il faut répondre, non à moi !
Car le Christ a bien dit : « Celui qui vaincra, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi j’ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône » (apo 321) ; et ailleurs : « N’est-il pas écrit dans votre loi : J’ai dit : Vous êtes des dieux ? » (luc 1034).
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Il est clair que ce propos comporte une hérésie aux yeux des religieux comme vous. Car, non seulement vous remarquerez qu’il n’y a qu’un seul trône, sous-entendant que Jésus se fait ici Dieu, mais en plus il affirme que l’homme, une fois devenu Fils de l’homme, est appelé à la divinité de son Père. Tel est le projet divin. Croyez que moi aussi je le trouve fou, et qu’une telle liberté ébranle toutes mes logiques ! Mais je n’en attends pas moins d’un Dieu capable de se sacrifier pour moi, je n’en attends pas moins de Lui qu’il donne l’impossible à ceux qu’il aime !
Et qu’est-ce donc que cette nature divine que l’homme recevra en Christ ? Qu’est-ce donc que cette nouvelle Nature émanant de son propre Père ? C’est son Esprit, c’est-à-dire l’Esprit du Fils. C’est par cet Esprit qu’il sera un jour rendu capable de dire, faisant écho au Christ : « Rien ne me sera impossible » (mat 1720, et Luc 137). Avoir accès à l’impossible, n’est-ce pas une prérogative divine ? Le Christ est donc une hérésie pour le dogme traditionnel de l’ekklésia ! Aussi comprenons-nous pourquoi l’Église crucifie le Christ dans sa théologie, car elle se fait passer elle-même pour Son corps d’enfantement. Or, l’enfantement spirituel n’est pas le fruit d’un corps collectif, mais de l’Esprit qui entre directement en contact avec l’individu, contre et malgré la collectivité à laquelle il s’attache. L’Esprit est la rupture des cordons ombilicaux, qu’ils soient ecclésiaux, raciaux ou encore politiques, etc. Tout religieux préfère donc se séparer du Christ ; il imaginera pour cela un faux Christ calé sur la Création et non sur le mystère du Père ; un faux Christ qui permettra à l’homme de se rassurer dans ses logiques communautaires. Par suite, il donnera un nom propre à ce Dieu, à ce Dieu auquel il n’aura pas accès, à ce Dieu qu’il affublera d’un Nom immuable qu’il s’interdira dès lors de prononcer pour se convaincre lui-même de sa spiritualité. Et si enfin il utilise encore le mot « père », ce sera uniquement comme moyen rhétorique et pour mieux subvertir le Christ.
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Le texte biblique, en nous questionnant sur Dieu, nous questionne par conséquent sur l’Homme ! Car ces deux questions n’en sont qu’Une en vérité. Et il s’avère que la réponse est surprenante. En effet, l’Homme-accompli est finalement la plus haute représentation de Dieu, nous faisant quasiment dire que Dieu, c’est l’Homme-un, l’Homme-accompli : le Fils de l’homme. Le secret de l’incarnation est là, et le christianisme est le véritable humanisme, à contre-courant de l’humanisme des Lumières : « Car Dieu a tant aimé le monde… ». Ainsi nous est-il impossible de concevoir ce Fils de l’homme tant nous sommes trop intelligents et dogmatiques pour cela. Car les lumières intellectuelles, avec leur arbre moral et scientifique, c’est la plus haute proximité que la Nature puisse avoir avec Dieu, et c’est aussi sa malédiction ! C’est pourquoi elle place l’homme terrestre au-dessus des créatures animales, mais elle le laisse pourtant déchoir aux pieds du trône, ne lui en donnant pas l’accès, le privant de l’arbre de Vie. Cette position laisse l’homme dans la crainte du Créateur, des Lois de la Nature et de la Nécessité. Il ne peut voir le visage divin, c’est-à-dire prononcer son nom qu’il cherchera sans fin comme une énigme insoluble. Pour voir le visage de Dieu et l’appeler par son nom : « Père » — il faut faire décrocher l’intelligence, il faut entrer dans la dimension de la Foi, et, à l’instar de Paul : « Il faut devenir fou pour être sage » (1Cor 318).

Ce texte est publié dans un recueil avec d’autres dialogues.

Présentation du recueil : Échanges [↗︎]