AU-DELÀ


LA CONSPIRATION DES MORTS

Au-delà affiche

Avant d’être le dernier Eastwood, Au-delà est en réalité le titre du livre écrit par la journaliste de France 2 que Cécile de France interprète dans ce film. Celle-ci, après avoir frôlé la mort et vécu une expérience intérieure troublante, va perdre son statut de star médiatique puis deviendra, dira-t-elle, « victime de l'étroitesse d'esprit » de son entourage incrédule devant son témoignage. Après une brève enquête d’une poignée de semaines, elle rédige un livre et rend compte de son accident : « J'étais connectée à un autre monde, un lieu où régnait la paix et la tranquillité. » Et bien qu’elle écrive ne pas encore comprendre véritablement ce qu’elle a expérimenté, elle s’empresse de conclure : « Il paraît évident que la route sera encore longue avant que nous soyons enfin capables d’aborder la mort et ce qui fait suite avec un minimum de bon sens. »

On se moque ouvertement de nous ! Car à l’instar de leur journaliste parisienne faisant la promotion de son livre, Eastwood et son scénariste ont fait une enquête de collégien sur les cas de mort imminente. Étant dès lors en phase avec ce nouveau marché des opiacés religieux, ils nous présentent une histoire habilement vendeuse mais guère plus profonde qu'une comptine pour bambins. En effet, voyant que ce thème est largement à la mode dans notre siècle en recherche de spiritualités ingénues, ils se sont empressés de produire un film dont il est certain qu’il les a autant enrichis qu’il a appauvri le sujet si sérieux de la mort. La route sera longue avant que nous soyons capables d’aborder la mort avec un minimum de bon sens, nous disent-ils. C’est ici le vœu de la mort ! non celui de la vie, elle qui est si riche, si chamarrée, et emplie de contradictions à épuiser le meilleur des bons sens. Face à l’Histoire philosophique et religieuse, avec ses innombrables ouvrages et ses vies entières consacrées à traiter le sujet, voici qu’une clef nouvelle a été révélée aux ouvriers de la caméra, et cela, après quelques renseignements glanés ici et là sur les expériences paranormales : « Il faut aborder la mort avec du bon sens ! » Pour dire une telle ânerie, il est certain qu’ils n’ont rencontré qu’une mort raisonnable, ou plus exactement, conforme à leur raison, c’est-à-dire à leurs intérêts. La mort se rit bien d’eux, tout autant qu’elle trompe le spectateur s’extasiant devant ce mot qu’elle leur a suggéré — tant elle est rusée. Quiconque aborde la mort avec « bon sens » fait très exactement ce que celle-ci attend de lui pour le vider de son sang. Car, s’il est une chose raisonnable, c’est bien la mort, elle dont la certitude est incontestable à notre raison qui s’y soumet lâchement. Et s’il est un être déraisonnable, c’est bien cet Homme qui s’est mis en tête, tels un impie et un rebelle, de tuer la mort, ainsi que son maudit bon sens et son inflexible et rigide évidence.

Le film « Au-delà » doit être regardé dans la ruse qu’il contient, c’est-à-dire en liant le début à sa toute fin. Dès la dixième minute, George Lonegan (Matt Damon), ce médium devenu simple ouvrier après avoir cessé ses pratiques occultes, accepte exceptionnellement de donner une séance à un ami de son frère. L’homme en question est d’origine grecque et s’appelle Christos, c’est-à-dire Christ. Nous apprenons que son épouse décéda à l’âge de cinquante ans, après une longue maladie. Et ce que va « révéler » le médium, c’est que Christos était amoureux de l’infirmière qui s’occupa de sa femme durant quinze années, mais qu’il ne le révéla à personne tant il se sentait coupable. Or, cette infirmière s’appelait June, qui correspond à l’épouse de Zeus dans la mythologie grecque, soit donc, la reine dans le ciel. Le discrédit est donc d’emblée jeté sur le Christ. D'une part, l’église chrétienne y est vue comme moribonde et malade, c'est June, l'épouse ; tandis que le Christ, soupçonné d’aimer secrètement depuis longtemps les cultes païens, se voit désormais obligé de passer le relais aux sciences occultes pour donner des réponses à l'humanité quant à l’après-vie : c'est la visite de Christos auprès de George le médium. Une courte scène mettra d’ailleurs en exergue l'incapacité ecclésiastique à questionner les morts. En effet, lors de l’enterrement du jeune Jason, son frère Marcus n’obtient aucun éclaircissement de la part du prêtre catholique ; la cérémonie sera expédiée sans authenticité, tandis que le prêtre congédie Marcus et sa mère, conformément au temps imparti pour un tel service religieux. Le christianisme est ici réduit à la va-vite au simple exercice administratif d'une église monnayant la mort sans la questionner réellement ; il est mis en porte-à-faux par rapport au médium, lui qui sait faire parler la mort, offrant à celui qui cherche avec inquiétude, tel le jeune Marcus, une réponse à la disparition d'un proche.

Bref… il faut remplacer le couple Christ-Église par un nouveau couple capable d’apporter des réponses individuelles et intelligibles concernant la mort et l’après-vie. Un couple spirite capable de consoler les vivants sans les angoisser, de leur faire entendre un discours lénifiant sur le trépas des vivants, de prononcer des paroles pleines de bon sens, des mots de bonheur et non de malheur ; un couple qui rend enfin plausible une vie post-mortem tant elle devient bienheureuse pour tous ! Un couple sans religion, et bien que hautement moral, disposant d'une théorie aussi simple qu'alléchante et à la portée de tous ; une doctrine qui prend bien soin d’éluder tous les problèmes liés aux conséquences de nos choix, à la justice et à la conscience. « Voyons monsieur, nous rétorquera-t-on, l’homme moderne en a fini avec la culpabilité, il est un sage, il ne mérite que la béatitude éternelle, il en a fini avec ces antiques religions qui lui reprochent continuellement de ne pas incarner une justice parfaite. »

Ce nouveau couple apparaît à la fin du film, alors que George, le médium américain, et la journaliste française, s’embrassent dans un amour naissant et romantique. Voici le couple moderne ! Il est ouvert sur la réalité raisonnable des sciences de la mort, une science simple et qui s'acquiert sans effort : il suffit de voir la mort comme une super-vie, et non plus comme la fin du vivant. C'est la conspiration des morts sur les vivants en réalité. Est-ce utile de vous donner le prénom de la journaliste que joue Cécile de France ? Je pense que tous auront compris la nécessité qu'a eue le scénariste de l’appeler Marie : la boucle est bouclée.

Si en grande partie l’Église récolte ce qu’elle a semé, elle qui se vautre sur toutes les couches religieuses et mystiques depuis des siècles… en revanche, faire la leçon au Christ montre combien les craintifs de l’au-delà ont besoin d'oublier hypocritement que le christianisme établi n'est pas la personne du Christ. Eux qui se vantent de pouvoir faire parler votre ancêtre, pourquoi ont-ils si peur d'interroger le Christ ? En vérité, s’il est une chose devant laquelle la mort ne peut plus parler et son au-delà est rendu muet, c’est bien le tombeau vide du Christ ! L’au-delà a besoin de tombeaux remplis pour faire entendre ici-bas la voix rauque de ses morts. C’est pourquoi la vérité dernière du Nazaréen est déroutante et déraisonnable, tel l’écho inaudible de son tombeau vide ; et la plus puissante expérience, la plus intime conviction suggérée à l’homme assoiffé de se rassurer, ne sauront jamais rendre compte de l’après-vie du Christ. En effet, pour ce dernier, il n’y a pas d’après-vie, il y a la Vie-à-venir sortant hors du bon sens de la vie présente ; car ici-bas, ce n’est pas la vie, aussi n’y a-t-il pas d’après-vie à cette vie présente qui n’est pas encore la vie, mais seulement l'ombre de la mort.



Ivsan Otets


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L’infinie diversité du monde offre pour la première fois à l’homme le moyen matériel de démontrer son unité. Un prétexte de communion universelle […] s’offre à tous […]

Élie Faure à propos du cinéma, dans son Introduction à la mystique du cinéma
cité par S. Zagdanski, La mort dans l’œil, v, fascination.