Jacques Ellul Jacques Ellul
Sociologue et théologien français · 1912-1994
Titres conseillés :
La subversion du christianisme
Anarchie et christianisme
La parole humiliée
L’Apocalypse : architecture en mouvement
L’espérance oubliée
Le système technicien



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EXTRAITS DE « ANARCHIE ET CHRISTIANISME »

Bien des choses me rapprochaient des anarchistes… mais il y avait un obstacle insurmontable : j’étais chrétien. Cet obstacle, je l’ai rencontré toute ma vie. Par exemple, en 1964, j’avais été attiré par un mouvement très proche de l’anarchisme : les situationnistes. J’avais eu des contacts très amicaux avec Guy Debord, et un jour je lui ai nettement posé la question : « Est-ce que je pourrais adhérer à votre mouvement et travailler avec vous ? » Il me répondit qu’il en parlerait à ses camarades. Et la réponse fut très franche : « Comme j’étais chrétien je ne pouvais pas adhérer à leur mouvement. » Et moi, je ne pouvais pas récuser ma foi. D’ailleurs « concilier » les deux n’allait pas de soi, en moi-même. Être chrétien et « socialiste », cela pouvait se concevoir, il y avait depuis 1900 environ un mouvement du « christianisme social » qui jusqu’en 1940 conciliait un socialisme modéré (A. Philip était de la S.F.I.O.) avec les enseignements moraux de la Bible. Mais on ne pouvait certes pas aller au-delà, et il semblait que, des deux côtés, il y eût une incompatibilité absolue. J’ai alors entrepris une longue marche spirituelle et intellectuelle non pas pour concilier les deux, mais pour savoir si finalement je n’allais pas être simplement schizophrène ! [p. 10]

Toutes les Églises ont scrupuleusement respecté et souvent soutenu les autorités de l’État, elles ont fait du conformisme une vertu majeure, elles ont toléré les injustices sociales et l’exploitation de l’homme par l’homme (en expliquant pour les uns que la volonté de Dieu était qu’il y ait des maîtres et des serviteurs, et pour les autres que la réussite socio-économique était le signe extérieur de la bénédiction de Dieu !), elles ont aussi transformé une parole libre et libératrice en une morale (alors que le plus surprenant c’est que justement il ne peut pas y avoir de « morale » chrétienne, si l’on veut suivre vraiment la pensée évangélique). [p. 15]

Rien, rien, aucune erreur, aucun crime n’est aussi horrible devant Dieu que ceux qui sont le fait du pouvoir. Et pourquoi ? parce que ce qui est « officiel » est impersonnel, et à cause de cela, c’est la plus profonde insulte qui puisse être faite à une personne. [Kierkegaard - p. 18]

Le reste, le faste, le spectacle, les déclarations officielles, le simple fait d’organiser une hiérarchie (Jésus n’a pas créé de hiérarchie), un pouvoir institué (les prophètes n’ont jamais eu aucun pouvoir institué), un système juridique (les vrais représentants de Dieu n’ont jamais eu recours à un droit). Tout cela, qu’on l’on voit, c’est le caractère sociologique et institutionnel de l’Église, sans plus, ce n’est pas l’Église ! Mais pour ceux de l’extérieur, il est évident que c’est l’Église, et par conséquent on ne peut pas les « juger » quand eux-mêmes jugent cette Église. [p. 19-20].


EXTRAITS DE « LA SUBVERSION DU CHRISTIANISME »

Comment se fait-il que le développement de la société chrétienne et de l’Église ait donné naissance à une société, à une civilisation, à une culture en tout inverses de ce que nous lisons dans la Bible, de ce qui est le texte indiscutable à la fois de la Torah, des prophètes, de Jésus et de Paul. Je dis bien en tout. Ce n’est pas sur un point qu’il y a eu contradiction, mais sur tous les points.… Or, il n’y a pas seulement dérive, il y a contradiction radicale, essentielle, donc véritable subversion [p. 10].

Chaque génération croit avoir découvert enfin la vérité, la clef, le nœud du christianisme en se plaquant, se modelant sur l’influence dominante. Le christianisme devient une bouteille vide que les cultures successives remplissent de n’importe quoi. Ce n’est pas parce que, aujourd’hui nous découvrons le socialisme et l’islam que nous sommes en quoi que ce soit plus vrais devant Dieu que nos pères, pleins de bons sentiments pour les pauvres sauvages qu’il fallait sortir de leur misère, de leur ignorance, de leur péché… Ce christianisme est toujours aussi plastique à l’égard des cultures qu’il le fut à l’égard des régimes politiques. Je l’ai dit 100 fois. Monarchiste sous la monarchie, républicain sous la république, socialiste sous le communisme. Tout se vaut. En cela aussi, le christianisme est l’inverse de ce que la Révélation de Dieu en Jésus-Christ nous montre. Telle est l’esquisse, générale… la question dramatique.… [p. 32]

Deux contradictions se trouvent dans cette obsession de l’unité : le totalitarisme chrétien et le syncrétisme. Dieu, le modèle, est Tout. L’unité a lieu précisément parce qu’il est Tout. Dès lors, il faut rechercher à tout prix la totalité. Le christianisme doit tout recouvrir. Les activités politiques, économiques, intellectuelles doivent devenir chrétiennes. Il faut exactement un Système de l’Unité totale. Et de même façon tout le monde connu doit devenir chrétien. [p. 76]

Il y eut chez les missionnaires aventureux et pieux un profond désir de convertir tous les peuples pour leur salut, mais il y a eu autant chez les chefs d’Église, la visée que le monde entier doit former une unité puisque Dieu est Total et Un, et que cette unité ne peut être assurée que par la christianisation. Donc tout englober. [p. 77]

Dans cette entreprise, on s’est heurté à des obstacles de tous ordres apparemment insurmontables. Dès lors restait une solution à première vue satisfaisante, mais en fait radicalement contraire à la première, celle du syncrétisme. Si l’unité ne pouvait pas être atteinte par la destruction de tout ce qui était extérieur et par l’expansion d’un christianisme irrécusable, alors peut-être pouvait-on tenter la conjonction et l’unification par l’amodiation réciproque du christianisme et de ce qui résistait.

Sont entrés dans le christianisme les légendes scandinaves et les arbres de Noël, la Fête de la Lumière autant que les méditations des mystique arabes.

Dans cette obsession de l’unité, le christianisme s’éloigne chaque fois davantage de sa source. Chaque fois c’est un nouveau mensonge qui s’introduit dans la Révélation. Le syncrétisme, c’est le triomphe du Prince du Mensonge, où ni l’un ni l’autre ne sont plus ni vrais ni crédibles. [p. 77]

L’unité à tout prix de toutes choses que nous prétendons ramener à Dieu est l’ultime subversion de la Révélation. [p. 78]

Ainsi, la subversion a eu lieu parce que la Révélation était socialement intolérable. [p. 244] Le christianisme (isme) est l’expression de l’« instinct » de propriété de l’homme. [p. 251]

Est-ce alors la défaite du Saint-Esprit ? Il faut être très rigoureux : en tant que réussite dans le monde, en tant que manifestation de puissance : oui. Absolument oui. Et pourquoi voudrait-on qu’il en fût autrement ? Dieu Saint-Esprit serait-il différent de Dieu le Père et de Dieu Jésus-Christ ? […] Avec Jésus-Christ, c’est l’échec de la Non-Puissance volontaire. Car, la Résurrection n’étant vraie que pour la foi, l’aventure de Jésus est un échec historique. Alors le Saint-Esprit ?

Il n’est pas différent. Esprit de lumière, de vérité, etc., oui, pour la foi. Non par force historique qui amène les peuples à obéir à Dieu, ni qui change le cours de l’histoire. Le Saint-Esprit donne à la fois l’espérance, là où tout est désespéré, la force de maintenir au milieu de ces désastres, la lucidité pour ne pas tomber dans ces séductions, la capacité de subvertir à son tour les puissances engagées. Ainsi le fidèle serait celui qui aurait à son tour l’intelligence et la force de dépouiller nos réalités matérielles de leur pouvoir de séduction, de les dévoiler pour ce qu’elles sont, rien de plus, et de les faire entrer dans le service de Dieu, en les déroutant totalement de leur propre loi.

Mais jamais de triomphe impérial. il n’y a pas de chef d’État inspiré par le Saint-Esprit. Il n’y a pas de capitaliste réussissant par le Saint-Esprit. Il n’y a pas de développement de la science et de la technique guidé par le Saint-Esprit. Ce que les puissances on réussi est donc l’inverse. Elles ont remporté la victoire explosive, asservissant à leur grandeur la vérité même de Christ. [p. 290-291]


Documents Audio

BRIBES D’ENTRETIEN AVEC ELLUL · 1980-1993 · Playliste de 14 pistes (total de 19 mn).
A partir du DVD : J. ELLUL, L’HOMME ENTIER




Jacques Chancel

Jacques Ellul  O  J. Chancel
q  « Radioscopie »
01 Oct. 1980 · 56 mn 34