
UNE À UNE PAR LEUR NOM
LES BREBIS QUI LUI APPARTIENNENT
ET IL LES POUSSE DEHORS »
Jean 103
(d’après la version Pirot et Clamer)
Où s’enracine le discours akklésiastique que nous formulons depuis maintenant plus de 15 ans ? Dans une passion pour le Christ. Il faut bien sûr préciser ce que l’on entend par « passion pour le Christ » car l’histoire du christianisme déborde, dégouline et même « dégueule » de toutes sortes de fièvres au nom de cet argument.
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À l’origine a lieu une « conversion ». En effet, nous n’avons pas reçu le fait religieux en héritage familial, ou assez peu. Cette conversion produit assez vite chez nous le dilemme suivant : la Foi OU l’Église. Bien sûr, nous avons d’abord fait l’effort de concilier les deux, dès le commencement. Nous ne voulions pas laisser ce « diable » de dilemme nous venir à l’esprit. Et puis n’était-ce pas précisément cette ecclésia qui nous avait généreusement annoncé l’Évangile ? N’étions-nous pas redevables à l’État ecclésiastique comme tout enfant est redevable envers son « aimante famille » ou sa Nation, pour l’avoir protégé et éduqué ?
En outre, nous étions incapables de considérer l’Église sous un aspect plus économique, dirons-nous, en termes de « marché des âmes ». La démarche était non seulement trop culpabilisante mais surtout trop pointue pour un enfant. Comment ce dernier serait-il capable de déceler que la « sainte famille » n’est en vérité qu’une crèche à qui il a été confié en vue de sa liberté, en vue de sa sortie… Mais la crèche, en s’accaparant très vite la paternité spirituelle, vole l’enfant puis attend un retour sur investissement pour son travail. Les employés du biberonnage ecclésiastique ont un coût et leur structure millénaire exige la gabelle de tous ses enfants… D’autant que le Père, a priori toujours absent, n’honore pas les frais de crèche. De plus, cette « canaille » ne se montre que pour retirer l’enfant une fois celui-ci sorti des couches — afin de le conduire personnellement dans la maturité. Par-dessus le marché, cet irresponsable Père n’a pas le moindre remerciement pour la « sainte crèche » et ses employés consacrés ! Assurément, l’enfant sera plus en sûreté au milieu des nourrices, nounous et autres précepteurs ecclésiastiques qui lui enseigneront… une liberté-encadrée.
Bref… Encore trop candides, nous nous sommes donc totalement investis dans la version ecclésiastique de la foi. Telles des brebis dociles et obéissantes, nous avons essayé – la foi ET l’église ! Nous nous sommes mis à la tâche sincèrement, consciencieusement, et de tout cœur. Puis, studieux, pleinement convaincus, nous avons répété le fameux corpus christi partout chanté — chez le catholique, le protestant, l’orthodoxe et dans les multiples mouvements parallèles nés du christianisme : « Hors de l’Église, point de salut ! »
Peine perdue. Les années passèrent et rien ne parvint à étouffer la question.
Si donc… la Foi et la Passion personnelles pour le Christ sont maudites par le Christ lui-même lorsqu’elles se vivent hors de l’Église et lorsqu’elles se placent au-dessus de l’Ecclésia…
Si l’autorité d’Un-fils placée au-dessus de celle du corpus christi est un blasphème pour le Christ…
Si renvoyer l’Église à un statut politico-éducatif, que la donnée existentielle de l’adulte spirituel surpassera bientôt, est pour le Christ une pensée satanique…
Si telle est la condition de l’amour entre le Christ et un individu, il ne nous restait, hélas, qu’une seule chose à faire : demander à ce que cette Foi et cette Passion nous soient retirées !
Nous ne fûmes pas exaucés.
Bien plus. Nous avons enfin appris à lire l’Écriture sous le rapport de l’Être-existant et non de l’Être-moral. Ainsi parle le Christ lorsqu’il se définit dans la parabole dite du berger comme « celui qui appelle une à une par leur nom ses brebis et qui les pousse hors de l’Église ». Consolation. Car nous fûmes alors définitivement en paix avec l’Église. Heureux celui qui aime l’Église pour ce qu’elle est – en vérité – après l’avoir enfin dépouillée du corpus christi dont la subversion théologique l’a revêtue et par lequel l’Église elle-même s’auto-mutile.
Aussi le discours akklésiastique n’est-il absolument pas un discours contre-ecclésiastique. La chose est paradoxale, le paradoxe étant le propre de l’Esprit, car oui l’Akklésia accepte l’Église — elle est donc aussi ecclésiastique. Nous reconnaissons à l’Église sa tâche en tant que garantie religieuse et tuteur moral – et seulement cela ! L’Église se trouve face à l’Akklésia comme le Judaïsme se trouvait au premier siècle de notre ère, face au christianisme naissant : il faut en sortir, sans la détruire, en reconnaissant que son rôle terrestre dans le processus de l’Esprit ne passera pas ici-bas, mais qu’il est là-bas déjà aboli. Il n’y a pas d’Église dans le monde-à-venir ! Le théologien Karl Barth parlait d’une « opposition infinie entre l’Évangile et l’Église » en affirmant que « l’Évangile est l’abolition de l’Église, de même que l’Église est l’abolition de l’Évangile ». Puis il conclut sa réflexion par cette remarquable synthèse : « L’Église est jugée par le royaume de Dieu ». Nous sommes ici dans le même rapport qui se joue entre la Raison et la Liberté : la Liberté est une sortie de la Raison et elle la surpasse ; mais la Liberté ne signifie pas pour autant la destruction de la Raison. Car la Liberté se sert de la Raison comme d’un outil ; la Raison est le valet de la Liberté en tant que tutorat éducatif pour ceux, encore faibles, qui voient dans la Liberté un « vertige angoissant », pour reprendre l’expression de Kierkegaard.
Tel est ce que l’animation ci-dessus résume. La pierre-humaine, pour devenir vivante, doit sortir et être brisée par l’Esprit. Mais elle n’est pas lancée contre l’Église, comme si elle avait pour mission de l’abolir. Elle quitte simplement une réalité liée à l’enfance. Rompant le cordon maternel, l’homme se tourne alors vers une réalité à-venir, selon une filiation personnelle de Père à fils qui le dépasse et où, précisément, il se brise. L’individu suit alors le Christ personnellement – dans une existence qui est propre à chaque-Un, c’est-à-dire de façon irréligieuse, adogmatique et uniquement existentielle.
Nous pensons assurément que l’enfant a besoin de croire qu’il a une mission dans ce monde et pour le monde, mais nous savons que, devenu adulte, il lui faut comprendre que la seule mission que Dieu lui donne – c’est lui-même. S’il ne prend pas conscience de cela, et s’il transforme son désir enfantin en une sorte de mégalomanie urbi et orbi au nom du Christ, c’est que déjà il est en train d’être un chrétien contre-le-Christ ; c’est-à-dire qu’il confond la mission universelle de la Thora avec la démarche individuelle du Christ ! L’Église a toujours voulu changer le monde en faisant muer l’homme à travers certaines responsabilités socio-morales… La chose est noble, honorable, mais c’est une tâche qui appartient à la Raison, à la Morale, à la Thora, c’est-à-dire, globalement, au fait religieux (le sel et la lumière). Le Christ se moque de changer le monde. Il travaille à une œuvre infiniment plus délicate et qu’aucune religion ni raison ne sont en mesure de réaliser. Il vise une transformation de l’Être si impossible qu’elle consiste à enjamber l’éternité. Car il a pour but un tel changement de l’Être que ce monde-ci ne peut recevoir cet homme-là ; cet homme-là est toujours à-venir. Le Christ veut tuer l’homme et le ressusciter en une Autre-nature telle que notre œil ne peut la voir.
C’est de cette manière que l’Akklésia veut simplement se faire l’écho du Christ en criant la seule chose qu’il a réellement dite et pour laquelle il est venu : la Résurrection seule. Telle est notre foi, telle est notre passion pour le Christ. Que le monde ne tremble donc pas et ne se trouble pas en notre présence. Nous le laissons à ses autorités, à ses espérances, à ses chimères. Nous lui laissons la couronne. Mais que l’être – lui – tremble, s’inquiète et désespère puisque l’infini de la mort l’attend patiemment. Puis, qu’il saute de joie, si cela lui est donné. Car nous croyons que le Christ est venu pour nous faire naître à un changement si extraordinaire qu’il nous crucifie, certes, mais qui laissera bientôt notre tombeau vide. Il nous relèvera. Puis il glissera l’éternité, le temps et l’espace, sous nos pieds, tel un trône de l’Être.
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Ivsan Otets · www.akklesia.eu
Merci Dianista, franchement pour un premier article, ça commence fort. Comme tu le dis Paul voit dans l’homme comme un parfum de fumier, mais lorsque l'homme prend le chemin du « Kyriakos Anthrōpos » une odeur de rose comme un « bout de divin » émane de lui. Cet article est une rose, j’apprécie son parfum.
N’oublions pas que la rose a besoin du fumier, mais le fumier se passe fort de la rose ... Malheureusement pour le fumier sans rose, il s’engage conséquemment dans la voie de garage de l’Éternité comme tu le souligne si-bien.
Bruno L.
Je n’avais pas pensé à la métaphore du végétal et du fumier mais ça pourrait être une image pertinente. Le fumier n’a pas besoin de la rose mais la rose a besoin du fumier, oui…
Merci pour ton appréciation.
Paul va même plus loin que le parfum de fumier puisqu’il compare ses plus grandes réussites et ses plus grandes qualités sociales et même génétiques à de la merde, littéralement (les traductions de skubalon incluent les excréments d’animaux, plus rarement humains, et parle dans tous les cas de déchets détestables : ce qu’on appelle, donc, de la merde).
Pour le Kyriakos Anthropos, c’est une toute petite note dans le livre des « Pères de l’Église » qui m’a mise sur la piste. À part l’étude en anglais que je cite, je n’ai pas trouvé grand-chose sur cette expression. Elle est de toute façon liée au mystère du Christ Jésus et à tout ce que ça provoque naturellement chez les hommes (les humains) : espoir de puissance et d’ « immortalité ». Mais puisque la notion de cet « être supérieur » est associée à un personnage qui a fini crucifié… L’idée se complique !
Bref, rose, arbre de vie, fin de semaine (kyriakos=dominical)… c’est toujours vers la fin et surtout ce qui pourrait nous attendre de l’autre côté qu’on tend nos pensées.
Le lien du texte dont on parle ! (qui n’est pas le présent billet) :
https://www.akklesia.com/lanterne/billet/dogme-trinite.html
Pour continuer en scatologie, la plus mauvaise, c’est certainement la merde infectieuse. « Muray nous montre le Festivus festivus, qui vient après Homo festivus comme Sapiens sapiens succède à Homo sapiens, est l’individu qui festive qu’il festive ».
Dans ce texte ici-bas, Muray nous montre le Festivus festivus comme post-humain, déjà cyborg (trans-humanisé) sans y être d’un point de vue technologique.
« c’est le moderne de la nouvelle génération, dont la métamorphose est presque totalement achevée, qui a presque tout oublié du passé (de toute façon criminel à ses yeux) de l’humanité, qui est déjà pour ainsi dire génétiquement modifié sans même besoin de faire appel à des bricolages techniques comme on nous en promet, qui est tellement poli, épuré jusqu’à l’os, qu’il en est translucide, déjà clone de lui-même sans avoir besoin de clonage, nettoyé sous toutes les coutures, débarrassé de toute extériorité comme de toute transcendance, jumeau de lui-même jusque dans son nom. C’est quelqu’un qui a évacué la vieille dualité, anciennement constitutive de l’humain, ainsi que tous les clivages, les contradictions, les anciennes divisions sexuelles ou autres »
« Et vous … qui dites-vous que je suis ? » (Matthieu 16:13-15).
Le christianisme est tout le contraire d’une religion. Subversif, il libère de toutes les chaînes et est fondé sur une vérité : l’amour inconditionnel du Christ.
La Révélation n’est pas la religion : comme un mineur de fond, il faut aller creuser profond pour trouver le métal précieux, en dissoudre la gangue d’impuretés qui l’entoure, le tailler pour en faire apparaître la lumineuse beauté.
Merci à Ivsan et Dianitsa Otets qui ont creusé certaines galeries inexplorées en montrant qu’il ne faut jamais stopper si l’on désire remonter quelques pépites.
Pour celui qui est façonné au burin des doctrines, Il va falloir casser l’idole, afin de se laisser guider par celui qui a posé cette question il y a 2000 ans : « Et vous (…) qui dites-vous que je suis ?
Un texte ici-bas de Gustave Thibon qui amène à cette réflexion.
http://bruno-lacroix.com/2021/05/02...
Bruno Lacroix