Du silence de Dieu

AUX PEUREUX

Allez comprendre ! Quand les bons chrétiens se mettent quelque chose en tête, ils ont beau souffrir et peiner comme des chiens courant après un lièvre — rien n’y fait. Mais quand le diable y fourre son nez, qu’il agite seulement le bout de la queue — et voilà que la chose se fait comme par enchantement, à croire qu’elle vous tombe du ciel.[1]


Nous lisons quelque part, dans le livre des proverbes que propose la Bible : « Les projets s’affermissent par le conseil ; fais la guerre avec prudence. » Et un peu plus loin dans le même livre : « Le salut est dans le grand nombre des conseillers. » Voici une sagesse toute mondaine parce que tellement efficace. En effet, qui n’a pas — au cours de sa vie et à plusieurs reprises — trouvé auprès d’un conseiller la réponse à une situation qu’il trouvait inextricable et dans laquelle il s’embourbait. Le « sage » conseil survient et vous dépatouille comme par enchantement.

Il s’avère que le conseil en question n’est généralement rien de plus que la connaissance d’une information pratique que vous ignoriez ; votre conseiller écoute les médias et lit les magazines plus que vous, c’est tout. En d’autres cas, il est vrai que la réponse du conseiller apparaît fort subtile, alors qu’en vérité il vous propose telle méthode parce qu’elle a fonctionné dans une situation similaire dont il fut témoin. Pour peu qu’elle fasse encore ses preuves chez vous, dans votre cas, votre ami obtiendra alors le titre de sage, de bon pasteur ou je ne sais quoi à vos yeux.

Cependant, plus le conseil que vous cherchez quitte votre réalité pratique et terre-à-terre du quotidien pour entrer dans les sphères de votre intimité, c’est-à-dire que plus vous sortez de la généralité pour entrer dans le particulier qui vous est propre, plus vous constatez alors que le simple conseiller, bien que riche en informations de toutes sortes ne suffit plus. Même l’ami intime devient impuissant ! Il vous faut ici trouver la perle rare : un « expert ès ». Si le psychologue diplômé qui vous tend les bras ne vous convient pas, il vous reste le prophète, certifié bien sûr pour les applaudissements qu’il suscite à chacune de ses apparitions, sinon un autre parapsychologue de même type fera l’affaire : spirite, médium ou saint voyant, etc. Bref, vous trouverez toujours un petit chien remuant la queue, plein d’enthousiasme et de compétences pour débloquer votre situation comme si la chose tombait du ciel !

Ces diablotins, de qui émanent cette bonté toute humaine, souriante et polie, se sont toujours proposés parmi la foule et ils se proposeront toujours aux hommes prudents, à ceux pour qui il n’est pas question que le salut de leur situation vienne d’un être invisible et silencieux, d’un être qui n’exigerait d’eux que « de faire confiance » — cela leur donne le vertige. Ils sont terrifiés à l'idée de ne pouvoir comprendre clairement pour juger selon leurs pensées.
Ainsi, vous reconnaîtrez ces petits lutins sympathiques par le charme doucement fébrile de leur activité, car, comme le dit si bien Nicolas Gogol : Ils remuent la queue. Éclairés, imaginatifs, convaincus de leur mission, ils sont emprunts d’une « sainte vanité » qu’on ne remarque pas au premier coup d’œil… puisqu’elle est habillée proprement. La morale leur sied et les ravit : ils sont irréprochables. Le réseau de connaissances qu’ils ont tissé peut en témoigner. Et bien sûr, ils ne sont nullement offensés si vous croyez en Dieu. Eux-mêmes vous diront qu’ils croient aussi que Dieu existe, qu’ils respectent votre croyance — plus encore, ils vous diront être capables de faire parler le mystère divin. Devant votre situation, ils prétendent être doués d’un talent particulier pour tirer les ficelles divines et ainsi désembrouiller la situation oppressante dans laquelle vous vous trouvez. Dieu est une marionnette entre leurs mains, aussi ne sont-ils jamais en manque d’un sage conseil à vous proposer.

Permettez-moi, précisément, de vous donner un conseil à leur propos ; et je vous le concède, c’est un conseil que j’ai du mal à mettre en pratique, à savoir : Ne leur vendez pas la mèche ! Ne leur dites pas la vérité trop vite à propos du mystère divin, car ils se retourneraient contre vous en piétinant la perle que vous leur offrez. Ils ne supportent pas une telle vérité. En effet, elle leur révèle que leur inspiration est aussi lumineusement pure que méchante, c’est-à-dire « humaine, trop humaine », une bonté diabolique ; qu’ils sont en vérité des petits chiens remuant joyeusement la queue de leur logique terrestre — des animaux rusés et intelligents, ils ne sont que cela. Ne leur dites donc pas trop vite que Dieu est un mauvais conseiller et qu’il est fou ; que devant l’infernale situation des hommes Dieu ne trouve souvent pas mieux que de garder le silence et qu’ainsi, il nous pousse à trouver refuge dans les ténèbres de la Foi. Que le divin, pour qui la logique et l’efficacité sont méprisables, attend des hommes qu'ils s'engagent dans ce que les sages lutins appellent le péché.

En effet, si pour eux le contraire du péché est la vertu et un pragmatisme intelligent, pour Dieu, « le contraire du péché est la foi », ainsi chantait déjà Kierkegaard ; et ailleurs, Paul disait : « Tout ce qui ne procède pas de la foi est péché ». Si donc ta foi te pousse à offenser la morale, à refuser le conseil qui assure la victoire au soldat, à déraisonner encore afin de continuer à suivre cette route qui t'appelle, « sans savoir où tu vas », il te reste cependant ce repos : Le silence de Dieu. Ce silence te parlera mieux que le brouhaha des petits chiens qui jappent. Repose-toi donc dans les ténèbres de la foi, tel est le fardeau léger que le Christ propose. — Pour moi, ayant vu les portes d’escarboucles derrière lesquelles resplendit le festin inimaginable, je sais que le ciel prépare ses chants et ses musiques pour les fous à qui parle le silence divin, je sais qu'un plat enivrant me sera donné, avec mes frères d’asile, qui eux aussi se sont mis en tête d’aimer Dieu et son mystère… quitte à couper la queue des diablotins et diablotines dont le zèle, hélas, a déjà résolu l’énigme divine, preuve en est de leurs réussites terrestres.


Ivsan Otets

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[1] Nicolas Gogol, Une nuit de mai ou la noyée (nouvelles ukrainiennes).

Ce texte est publié dans un recueil de 14 écrits d’Ivsan Otets :

Présentation du recueil : La défaite des évidences [↗︎]