Petite exégèse d’une blague juive


À L’ATTENTION DES LECTEURS DE LA BIBLE

Marx Brothers
Un Juif rencontre à la terrasse d'un café un de ses amis en train de lire Der Stürmer, journal violemment antisémite.
« Comment peux-tu lire une telle horreur ? », lui dit-il.
Son ami lui répond : « Quand je lis un journal juif, je ne trouve que des nouvelles tristes et des catastrophes. Partout de l’antisémitisme, des persécutions ; des portes qui se ferment aux Juifs qui veulent quitter leur pays. Dans ce journal, au contraire, j’apprends que nous dominons le monde, que nous tenons entre nos mains la banque, la finance, la presse. C’est autrement réconfortant ! »
L’humour juif, Joseph Klatzmann, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1998.

En tenant compte notamment des leçons amères de la propagande nazie, l’Histoire a désormais gravé son slogan sur le fronton de nos demeures modernes : « D’une position extrême ne peut sortir que le mensonge, tandis que la vérité choisit toujours les positions modérées pour parler. Par conséquent, il est obligatoire pour toute Société évoluée qui se respecte d’établir comme règle intangible la chose suivante : Si tu es froid ou bouillant, je te vomirai de ma bouche, mais si tu es tiède, je t’encenserai et ferai ta gloire[1]. Car en effet, que signifie être normal pour l'homme du XXe siècle ? C’est d’être tiède… dans toute sa psychologie, son comportement et sa pensée. »

Au regard du système logique de la Nature, des lois de la Science et de la Morale – cette sagesse-là est absolument vraie. L’excès que véhiculent les extrémismes engendre la destruction et la mort. A contrario, la conciliation prêchée par les modérés apporte l’abondance et la vie. Pour toutes les sociétés humaines dites « évoluées » et morales, la philosophie de la tempérance est donc salutaire, et non seulement en terme de politique mais en définitive dans tous les domaines. Un esprit sexiste ne comprend pas le sexe opposé ; un esprit avare ou égoïste ne peut juger le pauvre et l’infortuné ; un esprit purement scientifique ne peut en rien pénétrer la démarche de foi ; un esprit superstitieux ne peut en rien tirer profit de la recherche philosophique tant il la croit diabolique ; un esprit parfaitement écologiste ne comprend pas l’être et son intériorité parce qu’il sacralise l'écosystème auquel il est prêt à sacrifier l'individu, etc.

Bref, pour l'homme de la modernité, il faut que le dialogue consensuel entre parties opposées soit posé comme Loi ultime, inaltérable et quasiment sacrée. Sans une telle Loi il est convaincu que l’organisation socio-politique ne peut apporter aux hommes une paix ou un bonheur durables. Le consensus est une condition impérative qu’il défendra – jusqu’à l'extrême ! Le corps collectif est en bonne santé, pense-t-il, uniquement lorsqu’il travaille à fondre ses diverses radicalités dans la demie-mesure et ainsi à se purifier de ses excès. C’est une chose indispensable à la survie de notre civilisation, ajoutera-t-il, puisque l’Histoire nous montre que c’est précisément des extrêmes que viennent le malheur, la destruction et la mort.

Ainsi éduqué, plus question désormais pour l’individu civilisé de confier les valeurs sacrées de la justice et de la paix dans le monde aux idéologies radicales. Le moderne prétend en avoir enfin fini avec les despotes, les mégalomaniaques et toutes ces propagandes malsaines de type Der Stürmer. Lui, il est – normal ! Il a compris qu’en ce qui concerne les choses aussi sérieuses que sont par exemples l’argent et la politique, il faut toujours écarter les positons ultras. Gloire donc à la dialectique des compromis et sus aux certitudes des extrémistes.

Deviendra-t-il croyant ? Il fera et pensera de même ! La chair, le sang et l’imperfection inhérentes à la condition humaine sont imprégnés d’extrémisme : de péché. Car Dieu, dans sa pureté, se tient en équilibre sur le point parfait de la tempérance : dans une sorte d’immaculée tiédeur. Aussi est-il impossible qu’Il ait couché sa Vérité dans un Livre écrit par le sang, la chair et les imperfections des hommes. Il est impossible au Saint, dira le religieux, d’avoir assez de liberté pour laisser Sa Parole aux incertitudes de l’édition humaine. Pour éviter un tel sacrilège : la Bible doit être sacralisée ! Elle doit être comme cette Thora de Moïse écrite directement du doigt de Dieu dit-on, ou comme ce Coran que l’on prétend dicté par Allah à un ange puis confié à Mohammed.

J’affirme néanmoins, à l’instar de l'histoire humoristique relatée en introduction, que la Bible comporte des erreurs, des propagandes et des mensonges outrageants qui cohabitent avec l’Évangile de Dieu. J’affirme que la Bible n’est pas sacrée. J’affirme qu’il faut, pour découvrir la Bonne nouvelle à l’intérieur du texte, adopter la même attitude loufoque et scandaleuse que ce Juif lisant Der Stürmer et qui parvient pourtant à y découvrir un réconfort. Il faut accepter que le Génie de Dieu a eu l’extravagance de coucher et de cacher sa révélation – parmi des mensonges. Une attitude saugrenue, mais qui finalement oblige l’homme de Foi, celui qui cherche, à apprendre à lire le texte comme Dieu sait lire : à « avoir des oreilles pour entendre ». Et c’est tant mieux, car tant qu’un homme ne consent pas à cette folie, la Révélation lui échappe puis se transforme finalement en dogmes religieux. Soit donc, pour de tels individus, cette parole du prophète Isaïe que le Nouveau Testament aime à répéter demeure encore et plus que jamais d'actualité : « Appesantis le cœur de ce peuple, rends-le dur d’oreille, bouche ses yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, que son cœur ne comprenne, qu’il ne se convertisse et ne soit guéri. » (610).

Que celui donc qui cherche le Christ et sa résurrection n’ait aucun scrupule à s’exprimer tel que les antiques prophètes osaient le faire. Bien au contraire, qu’il soit prompt à cela et nullement embarrassé. Dans la France du XVIIe siècle, Pascal, déjà, évoquait le « dessein de Dieu de se cacher aux uns et de se découvrir aux autres. »

ivsan otets


[1] Voir le texte d’origine dans la Bible, en Apocalypse 316, qui dit précisément le contraire.