AKKLÉSIA
Vers un christianisme sans églises

Opuscule


C


PRÉSENTATION

« Ne serait-il pas temps, et ne serait-ce pas finalement plus pratique et plus réaliste, au meilleur sens, que l’Église se remette à chercher d’abord le royaume de Dieu ? »

Dans l’ouvrage intitulé l’Église d’où est tirée cette citation, le théologien Karl Barth met en balance la naissance du protestantisme évangélique au 16e siècle et l’origine même du christianisme dès le 1er siècle : « Par la volonté et le décret de Dieu, l’Église elle-même se trouvait hors de l’Église. Cet événement renouvelait exactement la journée où l’apôtre Paul et les siens, la Loi et les prophètes en main, s’étant exclus de la communauté d’Israël et réduits à eux-mêmes, furent contraints de reconnaître Israël hors d’Israël. Ces hommes du 16e siècle devaient désormais, eux aussi, chercher et trouver la véritable Église à l’extérieur, hors les murs de Jérusalem, à l’écart de l’ancienne Église, de l’Église du passé révolu… »

Hélas, hélas, l’histoire montre que ces hors de l’Église que connurent de tout temps les différentes dénominations chrétiennes, s’ils furent d’abord encouragés par leurs adeptes, devinrent très vite des « interdits » dans la bouche de ces mêmes hommes ! Le décret de Dieu annonçant que seul compte le Royaume des cieux est aboli tandis que la nouvelle église s’installe dans sa réussite. Enfin, le décret religieux est édicté à grand renfort de trompettes : « Cherchez premièrement l’Église. » L’appel à sortir qui était salutaire s’est étrangement retourné en une menace de condamnation. Comment ne pas voir là que quelque chose s’est grippé… qu’un levain s’est malicieusement mis dans la pâte ?

L’Église est-elle le monde-à-venir promis ou bien ce dernier vient-il après elle ? Et si le chrétien s’entête à vouloir sa maison spirituelle sur terre, comment l’Évangile n’en promet-il précisément aucune ici-bas ? seulement aux cieux. Aussi le divin ne trouve-t-il aucun lieu de repos sur terre, et rien ne lui conviendra jamais mieux pour cela que le cœur d’un homme. Mais sous prétexte de bâtir des maisons à leurs dieux, voici que les brebis s’agglutinent en bergeries. N’est-ce pas la peur et un esprit grégaire qui les motivent, bien plus que la foi ?

La liberté brûle. L’homme apeuré préfère les douces et rassurantes braises du groupe. En matière d’église, chacun trouve toujours pointure à son pied. La chrétienté ignore-t-elle donc où se trouve le seul lieu que Dieu agrée comme temple ? C’est l’Homme particulier ! Détruisez ce temple et Dieu le « rebâtira », mais sachez qu’il ne rendra pas à l’homme la bergerie qu’il chérit ici-bas, celle-ci restera dans la destruction. Dans le Royaume derrière les cieux, on boira la liberté sans complexes et les lieux cloisonnés n’auront plus leur place, les interdits de sortie y ont déjà été abolis.


LE PROPOS

Lutter avec la Bible serait-il inévitable pour que le texte daigne un jour s’ouvrir quelque peu ? Assurément oui. Et tout aussi sûrement est-il impossible de ne pas être vaincu par le texte. Car je doute qu’on puisse échapper à l’erreur de le rendre simpliste, et encore moins à celle de le transformer en théories. Je n’y ai pas non plus échappé. Si Kierkegaard ou Dostoïevski m’ont alors paru indispensables pour décadenasser ce qui est dit, les propos de Léon Chestov ont été pour moi des illuminations. En général d’ailleurs, les écrivains russes et juifs ont cette capacité à dépasser les limites que n’ont pas les « docteurs » encensés dans les églises. C’est ainsi que dans son Sola Fide, Luther et l’Église, Chestov écrit : « Ce que tous les hommes durant des dizaines de siècles considéraient comme la citadelle la plus sûre de la foi, l’Église, se révélait être le repaire de la plus terrible et dangereuse incroyance. […] Dans quel monde horrible vivons-nous, si nous pouvons devenir les victimes de mensonges aussi effroyables ! »

En effet, Luther prononça l’imprononçable lorsqu’il s’attaqua à l’Église, tandis que Nietzsche dira plus tard de lui : « En attaquant l’Église, Luther la restaura ». On me reprochera peut-être de défendre avec légèreté mon propos en usant d’une histoire lointaine, on avancera que notre réalité est tout autre… Pourtant, Luther ne fut pas le premier à friser l’hérésie. Au cours de notre siècle Karl Barth parlait ainsi de l’apôtre Paul : « Le paulinisme s’est toujours trouvé aux confins de l’hérésie. » La tôrah que Paul mettait en défaut a-t-elle été détruite suite aux coups donnés par ce dernier ? Non. Elle fut même plus vivifiante que jamais dans les siècles qui suivirent, et jusqu’à aujourd’hui encore. Une mise en question renforce toujours les positions de celui qui est questionné. Il se battra, il creusera, il élaborera de nouvelles intelligences, il aura recours au meilleur de sa créativité pour fortifier ce qui vient d’être ébranlé. En fin de compte, ce qu’il a bâti sera plus solide que jamais.

Vous pouvez passer outre Luther si vous le désirez, mais il vous sera plus difficile d’ignorer Paul et son propos encore aujourd’hui « hérétique ». Ne parlait-il pas de la malédiction de la Loi ? Ne disait-il pas que la puissance du péché, c’est la loi ? Si toutefois vous parvenez à reformuler Paul — ce dont je ne doute pas — comment ferez-vous alors face à l’hérésie du Christ ? En plus de la tôrah et du Temple, c’est sur l’idée même que les hommes se font de Dieu que le Christ dépassa les limites acceptables. Il s’attaqua à Dieu lui-même ! Pour tous ceux qui considéraient l’Alliance du Sinaï comme indétrônable et la puissance de Dieu incrucifiable, le Christ « blasphémait ». L’Alliance fut-elle abolie suite aux attaques du Christ ? Nous savons bien que non, et fort heureusement ; elle aussi ne peut être abolie tant que la Création existe.

Ainsi en est-il de l’Église. Elle est nécessaire et indispensable et ne peut être abolie tant qu’existe la Création, tant que les fils de l’homme ne sont pas révélés par leur nom, individuellement. Tel n’est donc pas le propos d’Akklésia d’élaborer une « nouvelle doctrine ». Il est plutôt question de mettre en avant l’essence et l’essentiel du message que porta le Christ : Le Royaume des cieux seul ! C’est dans cette perspective, et seulement dans celle-là que l’Église doit être considérée, telle l’ombre d’un monde qui vient. Dès l’instant où l’Église veut être plus que l’ombre et ne jamais disparaître, elle s’oppose à l’Évangile.

C’est ici que se trouvent les confins de l’hérésie dont parlait Barth. En effet, le lieu où le Christ repose sa tête, c’est le Royaume des cieux, non l’Église ; celle-ci doit accepter d’être servante de celui-ci. Il s’avère pourtant que l’Église convoite la nature que seul le Monde-à-venir a reçue, à savoir : Ne pas mourir ! C’est pourtant en acceptant sa mort, sa finitude, et seulement ainsi que l’Église porte la nouvelle dont elle n’est pas le but. Cette nouvelle, c’est que le Christ n’appelle pas une Église à entrer dans le Monde qui vient, mais l’individu. De plus, quiconque soutient que l’Église est la porte qui y conduit doit prendre garde au fait suivant : si cette collectivité se prétend être la porte pour accéder au Royaume des cieux, c’est donc qu’elle l’est aussi en tant que porte permettant de sortir de notre monde présent où nous sommes retenus ! Car la porte qui sert d’entrée à la résurrection est la même dont on use pour sortir de notre monde de misère ; ainsi parlait le Christ : « Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira, et trouvera un pâturage. » (Jn 10). C’est pourquoi toute communauté qui ne veut pas mourir, prétextant être cette indispensable porte plutôt que d’en être humblement le témoignage, c’est précisément la communauté qui n’entrera pas dans la promesse ; car on ne passe la porte du Monde-à-venir, ni en couple, ni en cellule d’amis, ni en congrégation, mais dans l’étroitesse : âme après âme !

Plus l’Église est avide d’exister en puissance, plus elle offre le repos d’un bonheur tangible, et plus elle s’éloigne de la croix ; c’est sa façon doucereuse de renier le Royaume des cieux. Bien pire, ce faisant, l’Église devient un obstacle au Christ. Elle qui devait être le lieu où la folie de la foi s’élabore, petit à petit elle « se révèle être le repaire de la plus terrible et dangereuse incroyance ». Elle est un lieu mondain, celui des certitudes manifestes, des immédiatetés terrestres. Le Monde-à-venir est précisément à venir parce qu’il ne se manifeste que dans l’avenir. À n’en pas douter, c’est dans l’Église que le mensonge le plus effroyable a la possibilité de se hisser. Pourquoi ? Parce que c’est elle qui reçut d’avoir la plus grande proximité avec la vérité dernière.

Et cependant, si l’Église acceptait ce paradoxe de l’Évangile akklésiastique, de l’Évangile du Royaume des cieux, elle serait porteuse d’une accélération de l’Histoire dont elle n’imagine pas aujourd’hui être capable tant elle se confond avec le monde de la raison. Elle jouerait enfin son rôle. En est-elle capable ? Ou faut-il faire le constat de Paul : « Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde. » À tous ! Au Temple comme à l’Église.

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