Le mors trompeur
de l’égarement
À PARTIR D’ÉSAÏE 3027-33
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27 Voici venir de loin le nom de l’Éternel, sa colère est ardente [sa narine brûle], elle est écrasante ; ses lèvres sont pleines de fureur ; sa langue est comme un feu dévorant. 28 Son souffle est comme un torrent qui déborde et monte jusqu’au cou. Il va passer les nations au crible destructeur et mettre entre les mâchoires des peuples le mors de l’égarement [un mors trompeur, un frein qui les dirige de travers]. 29 Vous chanterez alors comme dans une nuit consacrée à la fête, vous aurez le cœur joyeux, comme le marcheur qui, au son de la flûte, se rend sur la montagne de l’Éternel, vers le rocher d’Israël. 30 L’Éternel fera entendre sa voix majestueuse, et on verra s’abattre son bras dans un déchaînement de colère, dans la flamme d’un feu dévorant, dans une tornade de pluie et de grêle. 31 L’Assyrie sera terrifiée par la voix de l’Éternel qui la frappera au gourdin. 32 Chaque coup de bâton que lui donnera l’Éternel sera accompagné par les tambourins et les harpes ; il la combattra par des guerres, la main levée contre elle. 33 Le bûcher [crématoire] est préparé depuis longtemps, et il a aussi été préparé pour le roi. C'est un bûcher qui s'est approfondi et élargi, où s'entasse une grande quantité de bois pour le feu. Le souffle [l'haleine] de l’Éternel l’enflamme et y brûle tel un torrent de soufre.

Ce type de discours n'est pas unique dans l'Ancien Testament ; il est même assez récurrent dans la bouche des prophètes lorsqu'ils s'adressaient « aux nations ». La description de Dieu est bien sûr d'emblée scandaleuse à l'homme civilisé, cet homme que la tolérance a su domestiquer au cours de siècles. C'est une description du divin qui semble sortie d'un âge noir et sauvage. Seul l'intégriste religieux se plaira encore aujourd'hui à caractériser ainsi son dieu sous les traits d'un diable : les narines brûlantes, les lèvres furieuses, une langue au feu dévorant, une voix terrifiante, le bras déchaîné… un guerrier livrant tout au bûcher ! Bref, il paraît impossible de réconcilier ces passages de l'Ancien Testament avec le texte des Évangiles où le Christ paraît littéralement incarner un autre Dieu. N'est-ce pas d'ailleurs le Christ qui répondait à ses disciples, lorsqu'ils lui réclamaient, au nom de Dieu, le feu du ciel pour consumer les villages de Samarie qui ne les écoutaient pas : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés. » (luc 955).

Que faisaient les disciples finalement ? Ils rappelaient naïvement ce visage de Dieu que leur offrait une lecture hâtive et superficielle de l'AT ; un visage que toutes les Vérités ont d'ailleurs en commun : Si tu ne m'honores pas, je t'écraserai ! À cela, le Christ opposa un véritable jugement spirituel : « Vous êtres dominés et trompés par un esprit qui vous séduit à perdre les hommes. Tel n'est pas mon état d'esprit. » Étrange réponse. En effet, car elle est précisément évoquée par ce texte d'Isaïe, au verset 28, qui en est la clef : « Dieu va poser entre les mâchoires des hommes un mors trompeur qui les dirigera de travers. »

Ce passage d'Isaïe nous donne en vérité une description de Dieu qui est déjà en elle-même un « mors trompeur ». C'est-à-dire que le texte est la concrétisation même du jugement dont il parle quand il nous induit en erreur sur la nature de Dieu. En outre, le texte dit vrai, non à propos du visage de Dieu donc, mais à propos d'une décision de Dieu : son éloignement vis-à-vis des hommes. L'absence divine est le jugement, car cette absence conduit inévitablement l'homme à imaginer en lui la vérité concernant le divin : Dieu livre ainsi l'individu à ses propres leurres ! Les hommes sont alors domestiqués par leurs propres vérités, tel l'animal sauvage qu'un maître domestique à la rigidité du mors. Ils obéissent aux leurres qu'ils conçoivent au sein de l'absence de Dieu dans laquelle ils sont jetés. Et ce sont ces leurres qui vont entraîner dans la réalité les événements tragiques dont parle ce texte prophétique d'Isaïe. Ces événements sont donc la conséquence indirecte du retrait de Dieu ; mais surtout la conséquence directe de l'activité de l'homme. En deux mots : l'homme est l'auteur et le bourreau de son propre jugement. Les narines brûlantes, les lèvres furieuses et les bras creusant des bûchers… c'est un portrait de l'humanité. Qui le contestera ?

Cette curieuse activité divine était connue par les prophètes de l'AT et elle n'était pas propre à Isaïe. Nous la retrouvons clairement évoquée dans le livre des Rois et des Chroniques. Josaphat (roi de Juda) et Achab (roi d'Israël) organisent une campagne militaire contre les Syriens, leur ennemi commun. Ils consultent pour cela une troupe de prophètes au nombre de quatre cents qui leur promettent tous la victoire. Mais Josaphat insiste pour consulter le prophète Michée, lequel est connu pour se tenir à part et comme n'hésitant pas à contester les rois. Or, voici ce que dit Michée aux deux rois : « Écoutez donc la parole de l’Éternel ! J’ai vu l’Éternel assis sur son trône, et toute l’armée des cieux se tenant à sa droite et à sa gauche. Et l’Éternel dit : Qui séduira Achab, roi d’Israël, pour qu’il monte à Ramoth en Galaad et qu’il y périsse ? Ils répondirent l’un d’une manière, l’autre d’une autre. Et un esprit vint se présenter devant l’Éternel, et dit : Moi, je le séduirai. L’Éternel lui dit : Comment ? Je sortirai, répondit-il, et je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. L’Éternel dit : Tu le séduiras, et tu en viendras à bout ; sors, et fais ainsi. Et maintenant, voici, l’Éternel a mis un esprit de mensonge dans la bouche de tes prophètes qui sont là. Et l’Éternel a prononcé du mal contre toi. » (2 Chr 18). Enfin, la prophétie se réalisa puisque les gouvernants s’entêtèrent et que le roi Achab fut effectivement tué.

« Tu séduiras les prophètes et le roi, tu en viendras à bout ; sors et fais ainsi ! » Tel fut l’ordre que Dieu adressa au mensonge avec qui il collabore ici ouvertement. Mais qu'est-ce que ce mensonge ? Un démon qui s'était furtivement glissé au milieu de cette scène céleste ? Non… Michée parle simplement en parabole. Aussi faut-il aller au-delà du décor pour entendre ce qu'il nous dit. Le mensonge n'est rien d'autre que la cupidité du roi qui a fait tache d'huile sur tous les prophètes : parce qu'eux-mêmes avaient en leurs cœurs la même soif de pouvoir. Dieu décide fort simplement de les livrer à leurs rêves de victoire et de conquête. Il décide de ne pas résister à l'homme, de ne pas se révéler : il se retire dans l'absence. L'Évangile témoigne exactement de la même attitude lorsque le Christ dit à ses disciples : « Pour ceux qui sont dehors tout se passe en paraboles, afin que tout en regardant, ils ne voient pas, et que tout en entendant, ils ne comprennent pas, de peur qu’ils ne reviennent à Dieu, et qu'il leur soit pardonné. » (marc 4). Le Christ se cache dans un discours énigmatique, sachant que celui qui ne veut pas l'entendre l'entendra en réalité autrement. Il l'entendra ainsi qu'il veut que Dieu soit et non tel que Dieu Est. À l'instar du Dieu de l'AT dont il est la révélation, le Christ n'hésita pas à livrer les hommes à leurs propres chimères concernant le divin ; il les livra à leurs narines brûlantes, à leurs lèvres furieuses et à leurs propres bûchers… Il livra l’homme au visage diabolique de l’humanité dès l’instant où il se laissa lui-même crucifier par elle. En entrant ainsi dans l’incognito de la résurrection, le Christ « a mis entre les mâchoires des peuples le mors trompeur de l’égarement », un frein pour diriger les Nations de travers tandis qu’elles entendent de Lui ce qu’il n’a pas dit ; et il a mis dans la bouche des Églises un esprit de mensonge alors qu’elles veulent faire descendre, en Son nom, le feu du ciel sur les akklésiastiques qui les conteste. Ainsi se réalise depuis 2000 ans la parole d’Isaïe le prophète.

Les prophètes de l’AT voyaient le Christ, mais ils le voyaient tellement flou qu’ils insistèrent à outrance sur la violence de l’événement que suit son retrait. C’est pourquoi la tradition religieuse qui s’accapara par la suite les propos des prophètes chuta sur la croix : elle refusa que ce retrait du divin devînt Son sacrifice personnel, et elle trouva scandaleux que ce sacrifice devienne, par un extraordinaire retournement de situation, la victoire sur le diabolique : Dieu pardonne à une humanité, pourtant impardonnable, en prenant sur Lui toutes nos culpabilités. Il a subi en lui-même le feu du ciel. Ce feu et ces bûchers, ce sont tous les rêves de paix qu’une humanité triomphante cherche à s'imposer coûte que coûte ici-bas. Bref, tout cela est bien loin de l’amour chamallow et naïf dont les églises nourrissent leurs brebis. Ne sont-elles pas les enfants légitimes des quatre cents prophètes qui nourrissaient déjà le roi Achab au râtelier de leurs propres rêves ? Ainsi donc, les prophètes de la paix sont fort souvent de vrais faux-prophètes.

À quoi bon lutter dès l'instant où Dieu te livre à tes propres rêves ? Ne résiste pas. Réjouis-toi plutôt puisque Dieu respecte ta liberté et qu'il consent à te laisser espérer en ta vérité… laissant en croix la sienne. Eh quoi ! si à l'avenir ton rêve se transforme en cauchemar, n'est-ce pas que la vérité s'avère ne pas être telle que tu l'as imaginée ; que Dieu n'est pas tel que tu l'as pensé : ni ce terrible vengeur, ni ce candide naïvement amoureux. Peut-être que Son rêve à ton égard te dépasse et qu'il n'a pas trouvé suffisamment de foi en toi ; que Son amour n'est pas de ce monde et que, trop impatient et vaniteux, tu as voulu le réaliser ici et maintenant, avant la résurrection : cette dimension, seule, où Dieu déploiera tes ailes dans un espace infini. J'ai quant à moi été abondamment domestiqué par mes propres mors, bridé sous le harnais de mes propres chimères, ecclésiastiques et humaines. Puis, lassé et brisé, j'ai un jour allumé un brasier pour les y brûler toutes. Je prie Dieu chaque jour de ne pas me laisser éteindre ce feu, de me donner toujours la force de ne pas m'en détourner, de croire en Son rêve à mon égard plus qu'aux miens qui déjà demain se faneront.

Ivsan Otets