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Ivsan Otets · pour Akklésia

Contre John Piper et l’« hédonisme chrétien »
SUR UN BLOG PROTESTANT · OÙ J'AI FINALEMENT ÉTÉ EXPULSÉ

En contestation du texte ci-après intitulé « Le Rythme de la foi », de John Piper :

« Quand nous sommes sur le point de mourir, il y a tellement d’aspects de la vie qui ont l’air différents. Bien des frénésies de notre passé nous semblent alors bien vaines. Alors que nous sommes couchés sur notre lit de mort, 99% des craintes que nous avons éprouvées durant notre vie nous semblent ridicules.

POURQUOI NE PAS L’APPRENDRE MAINTENANT ?
Esaïe dit en 2816 : « celui qui se fie [à elle] ne se hâtera pas. » Croire en un Dieu souverain et aimant ôte les craintes de notre vie. J’ai un ami pasteur qui n’a jamais l’air pressé mais qui accompli énormément de travail. Quand il attend des personnes en retard, il ne perd pas du temps à faire les cent pas. Quand un fusible saute en plein milieu de son service il ne se met pas en colère. Quand les choses ne se passent pas comme il le veut durant les conseils d’administration il ne se met pas a se ronger les ongles. Il donne une impression très distincte qu’il sait quelque chose que nous ignorons, tout comme une personne qui a déjà lu le livre et sait comment il se termine.
Son secret se trouve en Esaïe 2816 : « celui qui se fie [à elle] ne se hâtera pas. » Se fier à qui ? À un Dieu qui est le véritable Dieu, et qui œuvre toujours en faveur de ceux qui croient en Lui. Si Dieu agit en notre faveur au travers du retard de certaines personnes, ou alors quand un fusible saute, ou bien lors des conseils d’administration qui ne vont pas comme il faut – si Dieu agit en tout temps pour notre bien, alors pourquoi s’énerver ? Pourquoi avoir peur ? Pourquoi être pressé ?
Quand Paul dit : « ce que je vis maintenant dans la chair, je le vis dans la foi, la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi », il veux dire : « À chaque instant je suis confiant dans le fait que l’amour qui a amené Christ à la croix pour moi le fait également œuvrer en ma faveur. » C’est pour cela que Paul dit : « j’ai appris à être content en moi-même dans les circonstances où je me trouve. » Il croyait en la présente bonté et puissance de Dieu, donc il n’était pas pressé, pas apeuré ni énervé.

LA PRÉCIPITATION ENGENDRE DU GASPILLAGE
Gaspillage de paix, de santé, de joie. Le Seigneur ne se presse jamais car toutes choses sont sous Son contrôle. Une telle puissance devrait marquer son peuple! Nous le déshonorons de par notre agitation. Le enfants du Roi ne paniquent pas quand ils perdent leurs clés.
Imaginez un sergent dans l’armée d’Israël à la mer rouge alors que le pharaon approche par derrière. Il est vraiment pressé et il s’agite afin de préparer une flottille, il organise des équipes afin d’aller chercher du bois et de la corde, du goudron et des outils. Il reste debout jusque tard, grondant les ouvriers feignants, se plaignant du travail bâclé. Puis, un matin, une grande douleur lui saisi la poitrine, son bras gauche s’engourdit et l’homme à la nausée. Ses ouvriers le transporte dans a tente au sommet de la colline, et la dernière chose qu’il voit est la mer rouge qui s’ouvre en deux d’un seul souffle divin, et les gens qui passent en toute sécurité, laissant sa flottille derrière eux.
Bethléem, Bethléem ! Ton Dieu jamais ne s’assoupit ni dort. Ne soit pas anxieuse ou inquiète. Ton Père sait ce qu’il te faut avant même que tu ne le demande. Il œuvre en ta faveur en cet instant même. Fais-lui confiance. Ralentis ton pas. Car “ celui qui se fie [à Lui] ne se hâtera pas. ” Rythmé par la foi. »


Akklésia : Ce « rythme de la foi » est plus un mode de croyance de type hindou-christianisante ou bouddha-chrisitianisante. On fait ici accroire à l'homme que la foi en Christ est exempte de pression, de luttes et d'angoisses. Ce qui est en vérité tout le contraire ! Toute l'Écriture nous dit que les hommes de foi ont vécu toute leur vie dans les pressions, les luttes, les angoisses et même les doutes. Toute la parole du Christ ne cesse d'avertir que : « c'est par beaucoup de tribulations… » Les hommes de foi étaient loin et très loin de cette Chamallow béatitude à la Piper et que prêchent aussi les philosophies orientales et les gnoses de toute sorte, celles qui ne cessent de courir dans l'Histoire des religions, faisant passer le divin comme une sorte d'huile anesthésiante des maux de la vie, d'une machine à bonheur tant qu'on la paye de la morale adéquate.

Quand Paul dit : « …ce que je vis maintenant dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu » – de quoi parle-t-il en réalité ? Précisément, il eut fallu ne pas piper les dès de la Bible M. Piper ! Car c'est juste avant que Paul nous dit de quoi il parle. Et il ne fallait pas l'omettre pour faire passer son petit hédonisme hindou-chrétien en découpant dans la Bible ce qui convient à ce mélange du christianisme mondain. « J’ai été crucifié avec Christ […] et si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu… » disait Paul. Il parlait d'une crucifixion dans sa chair ! Il parlait de sa douleur, de son angoisse devant toutes les difficultés et les pressions que la vie chrétienne lui apportait, témoignant qu'il les supportait parce qu'il regardait vers le but : la Résurrection. Ainsi ne cesse-t-il de parler dans toutes ses lettres de la communion aux souffrances du Christ, des ses tribulations, etc., etc. Dès le chemin de Damas, Paul vécut dans la souffrance, au point d'en arriver à dire : « Christ est ma vie, et la mort m’est un gain. Mais s’il est utile pour mon œuvre que je vive dans la chair, je ne saurais dire ce que je dois préférer. Je suis pressé des deux côtés : j’ai le désir de m’en aller et d’être avec Christ, ce qui de beaucoup est le meilleur… »

Piper pipe encore les versets de l'Écriture en sortant un bout d'Ésaïe de son contexte. Car il est question là-bas d'un jugement qui vient mettre à bas le système religieux du judaïsme de l'époque. Et le prophète de dire : « Celui qui s’appuie sur la foi ne sera pas pris de court devant cette catastrophe. » Il n'est pas question là-bas d'un mode de vie que prêche Ésaïe, mais du fait que devant l'abîme de l'épreuve, l'homme de foi se révèle. Tout le livre de Jérémie est d'ailleurs sur ce leitmotiv : le Temple sera détruit, la terre saccagée, les ministères déchus, mais celui qui a foi tiendra bon, comprenant que là est finalement une situation que maîtrise Dieu.

Mais bien sûr, M. Piper a certainement était grassement payé de plusieurs milliers de dollars par mois durant son travail dans son église baptiste ; et probablement que sa retraite sur des fonds de pension américains doit aussi être de quelques SMIC par mois. Je doute que notre homme puisse se comparer au vécu de Paul ou à la situation de Jérémie, car tous deux ont vu s'écrouler les fondements d'un système religieux sur lesquels ils avaient durant de longues années mis toutes leurs espérances. M. Piper, quant à lui, voit son système religieux bien debout, solide, applaudi et se répandant dans le monde. Aussi, est-il bien facile pour lui, si loin du désert, si loin de la mort de la crucifixion, de jouer au sage serein, béat, tel un gourou que rien ne semble ébranler. Sur son lit de mort, précisément, que vaudront ce système ekklésial et cet hédonisme chrétien auquel il a voué toute sa vie ?

Quoi qu'il en soit, il existe toutefois une paix chrétienne à laquelle le mondain n'a pas accès. C'est la paix de la conscience ! Gratuite et donnée de grâce d'En-Haut ! Le monde peut se gaver de plaisir, de maîtres de conférences pour maîtriser sa psychologie, d'heures de psychanalyses, de toutes sortes de plaisirs et jouissances pour évacuer son stress… jamais il n'aura cette paix de la conscience par laquelle celui qui l'embrasse sait n'être coupable de rien – à jamais ! Cette paix-là exige que le Christ pénètre l'âme d'un homme et qu'il brise l'épée flamboyante des jugements de la loi qui ne cesse de le menacer intérieurement. Or, faire entrer chez soi le Christ, voilà une audace, car la couronne d'une telle paix, très certainement, ne plaît pas à la chair qui aime mériter sa paix et qui ne supporte pas l'illogique du Christ qui pardonne l'impardonnable. Aussi la conscience est-elle enfin rendue libre tandis que la chair et sa justice reçoivent les clous. Dès lors, la situation est ici-bas très inconfortable, mais la finalité dans le monde-à-venir est si extraordinaire !


1er intervenant : Il y a aussi un verset qui dit : « C’est dans le calme et la confiance… ». Alors oui, en tant que chrétien, on ne devrait pas s’affoler, se faire du soucis, s’angoisser, tomber en dépression (ou déprimer), sombrer dans l’alcoolisme, etc… Mais c’est toujours plus facile à dire qu’à vivre !!! Sans la grâce et le secours de Dieu, nous ne sommes rien et nous ne pouvons rien faire !!! Mais comme le mentionne également Les Cahiers Jérémie, la vie chrétienne n’est pas (toujours) un long fleuve tranquille…

Akklésia : Loin de moi la volonté de chicaner, mais il me semble que ce que vous dites est significatif d’une certaine lecture biblique qui précisément tend vers cet état d’esprit à la « Piper ». — « C’est dans le calme et la confiance… » ; le chrétien est ici voué à un comportement rien de moins identique à ce que prêche n’importe quelle spiritualité ou sagesse humaniste. Une attitude politique somme toute où l’homme civilisé est toujours plutôt stoïque devant les alternatives de la vie, certain que sa philosophie de vie ne lui jouera pas un tour qu’il ne puisse maîtriser. Celui qui s’inquiète et se décourage est finalement en faute… quasiment « dans le péché ». C’est totalement contraire à l’esprit de l’Écriture.

Le texte d’Ésaïe auquel vous vous référez ne prône absolument pas cela. Devant la menace assyrienne, les Israélites se sont alliés à l’Égypte plutôt que de se réfugier dans « les ténèbres de la foi » pour reprendre le mot de Luther. Le prophète ne leur reproche donc pas leur inquiétude, leurs soucis ou même d’être déprimé devant la terrible menace qui pèse sur eux. Mais il leur reproche de ne pas y répondre « par la foi ». Il leur reproche de ne pas y faire face, mais de les fuir en s’embarquant dans des solutions humaines. C’est absolument différent. Car en répondant aux aléas de la vie par des alternatives humaines, on évite précisément de faire face à l’inquiétude et au découragement dont est toute emprunte notre misérable nature. De fait, on retrouve l’équilibre et on parvient ensuite facilement à évoquer sa spiritualité ; mais en vérité, cet homme-là n’a pas agi spirituellement, seulement humainement.

Tandis qu’en appeler à Dieu nous coûte de faire face à l’inquiétude et aux angoisses, c’est-à-dire à la réalité de ce que nous sommes en vérité. Il s’agit même là de les convoquer littéralement pour leur résister en face par la Foi. Aussi toute l’Écriture ne reproche-t-elle pas à l’homme son inquiétude ou son découragement comme s’il « péchait » en cela – niet ! Car elle sait fort bien qu’il ne peut y échapper tant cette angoisse est la vérité même de sa nature ; mais elle l’invite à s’attaquer de face à cette vérité, par la Foi, plutôt que de la fuir en solutions humaines. Ainsi voyons-nous cette étrange situation dans laquelle fut mise le Christ lui-même : « Alors Jésus fut emmené par l’Esprit dans le désert, pour être tenté par le diable. » Il s’agit donc de considérer que l’Esprit nous met précisément dans des situations extrêmes ; aussi faut-il plutôt s’inquiéter si ce n’est pas le cas ! Peut-être ne sommes-nous alors que des enfants au biberon, protégés dans le nid douillet des « hédonistes chrétiens ». Quant à l’homme mûr, à l’instar des hommes de Dieu parcourant l’Écriture, il ne vit plus dans ce cocon des illusions. Il a appris ce que signifie « être un homme de douleur et habitué à la souffrance ». — Je me méfie des Piper et autres prophètes de la paix, du calme et de l’équilibre ; l’Écriture n’a de cesse de faire peser sur ces prophètes de la paix le titre de faux prophète.


2e intervenant : Merci Ivsan, par votre réflexion vous avez su rappeler que le chemin est étroit et bouleversant, « que la tristesse selon Dieu produit une repentance à salut » et que l’épreuve n’est pas synonyme d’égarement bien au contraire… Rien de charnel n’hérite le royaume de Dieu et l’épée de l’Esprit amène tout à la lumière sur le long chemin du royaume… Dieu n’en a pas fini avec l’homme ! Quant à moi, je suis dans l’expectative face à tous ceux qui se proclament prophètes, parlant au nom de Dieu et qui disent tout et son contraire… Ils sont légion aujourd’hui, mais sont-ils assez faibles pour que Dieu parle réellement par leur bouche ?

Akklésia : « Sont-ils assez faibles pour que Dieu parle par leur bouche ? » — Certainement pas selon moi, de même que le diabolique n’est jamais assez définitif pour être encore utile à Dieu. Le Christ lui-même n’a-t-il pas choisi « un diable » comme apôtre, pour reprendre les termes de l’Évangile, afin qu’il serve à sa crucifixion sans laquelle il n’existe plus d’espérance ? De même que Dieu peut aussi se servir de pierres pour parler, etc., etc.

Soit donc, toute cette tripotée de gais lurons à l’Évangile chamallow annonçant aux chrétiens tous les bonheurs terrestres au nom du Christ… ces enfants donc, très certainement sont-ils utiles pour abreuver de lait des enfants semblables à eux-mêmes ; tantôt chimériques, tantôt logiques devant la croix, mais jamais ne connaissant le « pourquoi m’as-tu abandonné ? » Or, qui prétendra Le connaître sans jamais connaître aussi cet abandon ?

Quand, de plus, ces prêcheurs se mettent à faire accroire aux hommes que leur lait est de la viande, devenant ainsi prêcheurs de pacotille… Pour moi, je considère qu’il faut dégainer et être sévère comme a su parfois l’être le Christ ! Car c’est à cause de cette théologie en caoutchouc qu’une grande majorité de la chrétienté en est encore au lait tandis qu’elle devrait en être à la viande : « Être des maîtres » nous dit le texte. Or, en être au lait après 5 ou 10 ans de foi, c’est s’entendre dire : « Pourquoi as-tu enterré ton talent ? » C’est une chose extrêmement grave. Ces prédicateurs-là sont excessivement dangereux, et je me demande très sérieusement si leur dieu est mon Dieu. Quand nous voyons le Christ, se tournant vers les apôtres, alors incapables de concevoir sa mise à mort, et leur dire : « arrière de moi le satan ! ». Que dirait-il de cette théologie ? Pour moi, je vois en elle un refus de la mise à mort, c'est-à-dire de la possibilité de résurrection, et une recherche addictive d’un bonheur spirite. Le vêtement évangélique qui la recouvre sera son propre juge !

3e intervenant : Je vous trouve bien sévère envers Piper. Il est, à mon sens, un des rares à se démarquer de la foule des charlatans et autres pseudo-prophètes qui empoisonnent et décrédibilisent la mouvance évangélique de nos jours. Son « hédonisme chrétien » n’a absolument rien de charnel. Bien au contraire, Piper est un farouche adversaire de l’évangile de prospérité et ne cesse d’en dénoncer l’hérésie, (voir à ce sujet : PIPER & THE PROSPERITY GOSPEL). J’espère ne pas dénaturer sa pensée en la résumant ainsi : l’être humain a été créé pour la joie dans la contemplation béatifique de son Seigneur. Cette joie peut commencer ici-bas, dans la prière et l’adoration. Alors, fermement ancrés dans l’amour du Sauveur, quelles que soient les circonstances de vie et les épreuves traversées, nous sommes comme portés, même à travers les larmes, (écoutez bien la fin de la vidéo) par cette joie ineffable qui se nourrit de l’assurance de notre salut et la certitude d’être appelés à une éternité glorieuse avec notre Dieu. Bref, la joie à laquelle Piper nous exhorte est toute spirituelle.

Akklésia : Désolé pour la longueur, mais la réponse mérite une certaine précision afin d'éviter les mal-entendus — Lorsque j'écoute ou lis Piper, j'ai l'impression d'entendre encore une fois les Grecs. Son « hédonisme chrétien » n'est qu'un reformulation de cette « contemplation » (theoria) glorifiée par les Grecs et leurs disciples. Aristote, Platon, Spinoza, Hegel… et j'en passe, n'ont fait que tenir le même discours à la Piper : « En contemplant la nécessité de tout ce qui arrive dans l'univers, notre esprit éprouve la joie suprême » disait Spinoza. La contemplation de l'esprit par l'étude et la méditation a toujours été pour les logiques la réponse donnée aux joies incomplètes de la vie et à la terrible condition de notre existence corporelle. « La béatitude est elle-même la vertu » (beatitudo est ipsa virtus) disait encore Spinoza. Exactement le même propos que Piper tient lorsqu'il cite Edwards dans son Au risque d'être heureux : « Le bonheur de la créature consiste à se réjouir en Dieu, qui est ainsi magnifié et exalté. […] La raison d'être de la création est de rendre gloire à Dieu. » Et Piper de rajouter : « La joie n'est pas simplement une retombée de notre obéissance à Dieu : elle en fit partie. Parce qu'être joyeux est un acte d'obéissance ». Piper, tel un bon disciple des Grecs, a bien appris sa leçon et ne fait que les répéter en allant simplement voler du texte ici et là dans le corpus biblique, mais sa lecture de l'Écriture n'en reste pas moins vendue aux Grecs ; pour lui aussi : La béatitude devant Dieu est la vertu elle-même.

Ainsi donc le chrétien, tel le sage ayant conscience de son impuissance, est voué à une « bête-attitude » dans une joie tout intérieure, et qu'il se doit même de mettre en pratique, tel un disciple obéissant – dans ses pires moments ! Un philosophe russe explique ailleurs qu'il faut tendre vers « la béatitude des Stoïciens, des Épicuriens ou encore de Socrate par laquelle l'homme vertueux goûte la béatitude jusque dans le taureau de Phalaris. » Le taureau de Phalaris était un taureau en airain qu'un tyran faisait chauffer à blanc pour y faire cuire ses ennemis ; un mécanisme dans les naseaux rendait les cris des suppliciés en une musique mélodieuse. Devant l'impuissance de la vie, les inattendus de notre faible humanité et les tortures qui en résultent, « les joies, les extases et la béatitude éternelle sont des appâts, dont il faut bien se servir pour séduire les hommes incapables de comprendre que la fin de l'univers n'est nullement en eux et en leurs destinées, mais dans les lois éternelles et dans la sublime rigueur de l'ordre. »

C'est-à-dire que la contemplation béatifique du divin est l'homéopathie de l'homme par laquelle il se soumet à l'ordre du Dieu-Omnipotent. De là, il attend ce jour, où enfin, il sera délivré de sa misère d'exister en propre. Et là-bas, à genoux et sublimé devant l'éternité et l'Être éternel, il se sera plus qu'adoration, contemplation et béatitude. Il ne sera plus ! et Dieu sera tout ! Un Dieu égotiste et boulimique somme toute, voulant que tout se concentre sur Lui. Et de plus, un Dieu complètement impuissant à dire à l'homme : « Existe ! Sois le commencement et la fin, l'alpha et l'oméga, prend en main ton univers ; car désormais rien ne te sera impossible ! Aussi, n'est-ce pas de joie béate dont je te parle comme si j'avais le désir de t'accrocher à mes basques dans une adoration angélique redondante ; c'est de la puissance d'une résurrection dont je te parle ; c'est-à-dire du fait d'avoir pour toi une existence en particulier où tu es maître. Je te parle du fait d'être tel que je suis, tel un fils est de nature de son Père. »

Les théologies à la Piper sont en vérité plus dangereuses que les théologies de la prospérité. Pourquoi ? Parce qu'elles ont basculé dans la tiédeur. La folie des théories extrêmes de la prospérité a au moins pour elle cette ardeur à exister. Certes, il leur manque le tas de fumier de Job pour réaliser combien cette puissance d'existence est de l'ordre de la résurrection ; mais au moins, ils n'y ont pas renoncé, et de là, ils sont finalement plus proches de l'intention divine. À contrario, l'hédonisme chrétien nous y fait renoncer – ce qui est incommensurablement plus grave ! Tels les laodiciens et de sages Grecs, les Piper ont tout compris et n'ont plus besoin qu'on leur ouvre les yeux : « il faut renoncer à la puissance d'exister » disent-ils, « il faut se réfugier dans la contemplation béate, car telle est l'ordre du divin. » Que répondra Dieu ?

Pour Kierkegaard déjà, les pires tourments que subit le vivant sont préférables à la « béatitude » de l'être idéal plongé dans la paix. Ailleurs, dit Chestov : « Job rejeta toutes les consolations philosophiques, toutes les consolations mensongères de la sagesse humaine. Et le Dieu de la Bible non seulement n'y vit pas une “volonté mauvaise”, mais il condamna les “consolateurs” de Job, qui lui proposaient de remplacer les bien “finis” par la Contemplation de l'éternité. » — Job voulait récupérer ses biens, ses richesses, ses gloires et les siens. Il n'écouta donc pas les consolateurs à la Piper. Il voulait, non pas se réjouir sur son tas de fumier, attendant ce jour, où béat et en adoration devant le beau, le vrai et le juste, il n'aurait plus rien à répliquer, ni aucun droit à faire exister son propre univers.

Job voulait entrer dans la résurrection, et tel un fils prodigue, tuer le veau gras avec Dieu et faire la fête avec lui, non à ses pieds ! Il voulait ses biens, ses gloires et retrouver les siens que la première nature lui avait violemment pris. — La joie de Dieu, c'est la fête, non la contemplation béate du dominé devant son dominant. Il est simplement dommage que : Les uns, les défenseurs de la théologie de la prospérité, n'ayant pas assez de foi pour l'attendre dans le monde-à-venir, basculent dans le n'importe quoi d'un Dieu distributeurs de sucreries … Et que les autres, tellement apeurés par l'idée de souffrir, renoncent définitivement à l'idée existentielle, et de fait à la fête, laquelle n'est pas une béatitude, mais une réelle puissance d'existence. Soit donc, ceux-là se réfugient dans une contemplation angélique qui n'est plus humaine, mais monstrueuse. Ils se transforment en disque rayé ; et répétant sans cesse leur alléluia, ils sont pétrifiés dans la seule Crainte divine du « saint, saint, saint » qui jamais n'atteint l'Amour intime qu'a la Sulamithe avec le Christ.

Ceux-là, et leur théologie, sont une peste bien plus grave que les premiers, car ils font précisément du chrétien les serviteurs des anges, c'est-à-dire des Élohims, alors que le chrétien, tel un fils de l'homme, est destiné à « juger les anges » disait Paul — à être maître des élohims et autres malahims… Le chrétien a comme perspective de joie d'être tel son Père. À cet instant, le mot « joie » n'a plus assez de profondeur pour parler de ce geste par lequel Dieu donne sa nature même, son sang et sa chair ! C'est pourquoi il s'agit de prendre garde quand nous mettons dans la bouche du Christ un tel mot comme s'il en parlait, lui, tel que naturellement nous le comprenons. Le Christ ne parlait pas d'hédonisme, c'est de bien autre chose dont il parte, et probablement de radicalement supérieur.


2e intervenant : Pour en revenir au « rythme de la foi », j’ai le sentiment que l’on confond notre expérience et les émotions s’y rattachant avec le principe de la foi, et c’est pour cela qu’il y a autant de définitions de la foi que de parcours individuels… La foi est un principe objectif qui est défini dans la Bible et qui n’est pas relativisé par l’expérience. Elle n’est ni quantitative ni sujette aux variations… Le Christ en parle et la compare au sénevé, qui possède la plus petite de toutes les graines. C’est à se demander si elle existe aujourd’hui ! La foi est la traduction d’une relation vivante, permanente, authentique, non illusoire, avec le Créateur de nos vies, elle signifie la communion entre deux personnes, à savoir le Père avec son fils, comme dans la vie courante « normale ». Pour cela elle doit grandir, être purifiée de toutes les scories de l’âme, débarrassée de toutes conceptions illusoires d’un pseudo-royaume de Dieu encombré d’approches charnelles. Je pense que Dieu est plus proche de celui qui reste dans le silence du désarroi et qui traverse la sombre vallée que de celui qui manie les dogmes les plus droits du haut de sa sagesse inébranlable. Celui-là entendra la voix du Christ et sera prêt lorsqu’Il frappera à sa porte. Assurément, il participera au repas avec Lui. La Foi, c’est entendre Sa voix et ouvrir cette porte. Je me souviens que Dieu ne regarde pas à l’apparence mais au cœur. Puissions avoir ce regard et ne pas nous laisser subjuguer inutilement par des apparences trompeuses, dussent-elles prospérer et avoir la reconnaissance des hommes… Il cherche des hommes qui L’écoutent en silence et savent rester dans le secret de la solitude, attentifs à Sa voix. Le monde s’agite mais Dieu agrée les petites choses !

Akklésia : Cher ami, je ne sais qui vous a appris à penser que la foi serait « un principe objectif » qu'il ne faut pas rattacher à « un parcours individuel ». C'est bien toute le contraire – voyons ! La foi, c'est du subjectif et complètement du subjectif parce qu'elle est le principe même de la vie. Or, la vie, c'est l'être individuel, son chemin, sa spécificité et ce qui lui donne son caractère unique. Qu'est-ce qui est objectif dans l'Écriture, et même dans la vie, qu'on la considère d'un point de vue religieux ou non ? C'est la Loi… plus largement la Raison, et bien sûr tout ce qui est sensible !

Kant l'avait hélas fort bien compris avec son « impératif catégorique » ; car « tu ne tueras point est un impératif catégorique » qui se moque bien des particularités et des parcours individuels. Le Christ le disait d'ailleurs pareillement : « celui qui fait passer son frère pour un fou mérite d’être puni par le feu de la géhenne. » La Loi, c'est la Loi, c'est objectif et le parcours subjectif du sujet ne doit pas venir l'amoindrir. Par la Loi, le sujet devient un objet. On le mesure, le pèse et le calcule à la règle absolue d'un dogme immuable, intouchable, catégoriquement non modifiable. C'est pourquoi cette perfection de la Loi, ainsi que toute objectivité est pour le vivant un processus de malédiction. « Partout où la perfection s'installe, le satan danse », disait par ailleurs un célèbre exégète juif (le Maharal de Prague). Prêcher l'objectivité, c'est donner de la joie au diabolique. Aussi faut-il faire en sorte que la loi soit faite pour l'homme, et non l'inverse. L'obliger ainsi à se remettre en question, à abandonner son objectivité pour tenir compte de Notre subjectivité. Plus un homme le fait, plus la Loi recule, et quant à l'homme, il en vient finalement à chercher un Dieu pour qui la Foi seule suffit, sans la Loi ni l'expérience sensible qui est son double.

Le vivant et donc l'homme, c'est ce qui est toujours en suspens, en devenir, en chemin. Le seul rapport qui lui convient avec la Vie est précisément un rapport subjectif. Un rôle que joue parfaitement la Foi. La foi, c'est le suprême confort de l'Être. C'est pourquoi, contrairement à ce que vous dites, la foi est quantitative et sujette aux variations. De même en est-il de l'homme. Il est sujet aux variations durant son cheminant et il n'est jamais quantitativement le même. Fort heureusement ! sinon nous demanderions à être mesuré de la même mesure à 17 ans qu'à 50 ans. Ceci, la Loi ne peut le faire, elle n'a pas cette souplesse ; elle est rigide et absolue. Un autre exégète juif dit par ailleurs la chose suivante à propos du passage concernant Jacob et l'ange, lors du changement de nom de Jacob : « Les Anges n'ont pas d'articulations. La flexibilité vient des articulations. La flexibilité psychique c'est de ne pas être enfermé dans quelque chose de fixe qui serait une idéologie. Le combat de Jacob, c'est mettre en place des noms d'articulation pour montrer que la capacité de changer, la bénédiction, ça ne peut se faire que si j'ai conscience d'un corps articulé qui est capable justement d'être dans une fluidité, un mouvement… Mais dans la rigueur d'un corps, on est figé. Être béni, c'est apprendre à danser : là où les articulations sont sensibles comme possibilités de flexibilité. Lorsqu'il y a un jugement définitif, il faut taper dans les mains et danser, ça fait partir le mal. »

C'est pourquoi le Christ rapporte la foi à une quantité sachant bien qu'elle est sujette aux variations dans la vie d'un homme : « Gens de petite foi – littéralement : oligo-foi […] si vous aviez de la foi, même comme une graine, vous déplaceriez les montagnes… » Et les disciples de ne pas s'y tromper : « Augmente-nous la foi » ; ou encore Paul : « Nous travaillons pour vous en ayant l’espérance que votre foi augmente… » (cf. 2Co 10).

Vous parlez plus loin d'un « faux royaume des cieux qui serait charnel ». Je suppose donc que vous savez ce que serait le « vrai royaume des cieux qui serait spirituel ». Toutefois, le Christ ne disant quasi rien sur le RdC, si ce n'est : « cherchez-le », il s'ensuit qu'il nous dit de le chercher par un processus qui s'appelle la foi. Mais la foi, étant pour vous un processus objectif, la purification des scories de l'âme, et dites-vous encore : « écouter Dieu dans le silence du désarroi et en traversant la sombre vallée », je comprends que le monde-à-venir est pour vous le monde d'une perfection objective qu'on a méritée en le payant de sa souffrance et de sa solitude.

Le NT définit pourtant la foi de manière fort simple : « Ce qui échappe aux preuves ». Or, que fait précisément la souffrance dans la vie. Elle remet en question ce qui pour nous était évident, prouvé, objectif. Elle nous oblige à nous passer de preuves. Elle nous fait entrer en lutte contre l'archange de la Raison, contre la vox populi, contre les postulats populaires, contre ces vérités qu'on ne discute plus dans l'ekklèsia, lesquelles fournissent toujours au croyant religieux suffisamment de preuves pour penser qu'il vit dans la foi. Les voici donc les scories de l'âme : c'est la raison, c'est ce qui est évident, ce sont les preuves ! C'est être intellectuellement attaché à ce qui est immédiatement connu, soit par la logique, soit par une émotivité et une sentimentalité exacerbée, soit par la vérité populaire qu'on ne discute plus (la voix du plus fort), soit par une pseudo-méditation où nos fantasmes se font passer pour la voix d'En-Haut. Comme le disait Kierkegaard, les scories c'est lorsqu'on peut juger objectivement, et sans justement regarder au cœur : « L’Esprit est la négation de l’immédiateté directe, car être reconnaissable directement est précisément ce qui caractérise l’idole. »

La souffrance ne donne aucun droit. Ce sont les années passées sur mon tas de fumier qui m'ont appris cela. La souffrance ne nous apprend pas à faire fléchir Dieu parce que nos larmes paieraient le prix qu'il convient. La souffrance nous apprend à acquérir des articulations, à quitter la rigidité de la raison et autres preuves objectives ; elle nous permet, peut-être, d'entrer dans une autre dimension de la pensée qui se passe des évidences et des preuves, c'est-à-dire dans la Foi. Ce que Paul appelait « la métamorphose de l'intelligence » (rom 12) et « l'intelligence spirituelle » (col 1). Le rythme de la foi, ce n'est ni la sérénité du sage, ni la purification morale, ni l'expérience mystique, ni la méditation transcendantale – c'est devenir fou en entrant dans une dimension de la pensée jugée comme fausse par la Réalité. Qui supportera un tel rythme ? Car il faut supporter bien des souffrances, puis la remise en question de nos évidences qui s'ensuit, pour pouvoir dire un jour, de tout son cœur : « Je ne suis pas de ce monde. »

Ivsan Otets

Ce texte est publié dans un recueil avec d’autres dialogues.

Présentation du recueil : Échanges [↗︎]