Vous retrouverez sur la page de présentation de l’auteur deux documents sonores dans lesquels on peut entendre Jacques ELLUL s’exprimer sur des sujets divers :
Quand il s’agit pour l'homme de se fabriquer un dieu, il emprunte généralement le chemin le plus simple, le plus direct. Il prend en l'homme les valeurs qui lui paraissent les plus estimables, puis en les élevant au plus haut degré possible qu'il soit, il obtient soudain Dieu. C'est un peu, voyez-vous, comme dans ces films de science-fiction. Le héros aux commandes de son bâtiment interstellaire est pourchassé par une horde de vaisseaux ennemis, et tandis qu'on le croit sur le point d'être pulvérisé, il enclenche soudain la vitesse de la lumière, et se propulsant ainsi à une distance infinie des ses ennemis, il les dépose là, tels des escargots enragés de n'avoir pas accès à ce plus haut degré de connaissance sur la vitesse. C'est avec ce genre de baguette magique que de tout temps les hommes ont sculpté leurs dieux. Aussi est-il communément admis que si l'homme comprend bien plus de choses que l'animal, il reste toutefois encore ignorant sur d'innombrables points, tandis que Dieu, lui, comprend tout. Il est tel notre héros de science-fiction, mais à un niveau absolu : il a accès au plus haut degré, non pas de quelques-unes, mais de toutes les connaissances.
Je me demande pourtant si le fait de tout comprendre ne serait pas plutôt le propre du diabolique, ainsi que le fait dire Maurice Blanchot à son protagoniste dans Le Très-Haut : « Quand on comprend tout, comme moi, c'est un enfer. » Oh, je sais bien qu'en m'attaquant de la sorte à la présumée omniscience de Dieu, la plupart des lecteurs religieux ont déjà fermé cette fenêtre de leur navigateur internet… Cependant, je ne prétends pas que « Dieu ne comprend rien ou bien qu'il ne comprend qu'en partie », mais j'affirme simplement qu'en disant de lui qu'il comprend tout, on se trompe.
En effet, la différence entre le fait de peu comprendre ou le fait de tout comprendre n'est somme toute qu'une différence de savoir. Celui qui sait peu n'a qu'une partie du savoir, tandis que celui qui sait tout l'a en son entier. Qu'est-ce qui importe finalement ? Qu'est-ce que le trésor ? C'est le savoir, c'est la connaissance ! Ce n'est pas Celui qui la possède en sa totalité, ce n'est pas Dieu, car viendrait-il à ne le posséder qu'en partie, le trésor de la connaissance n'en serait pas pour cela moins riche, moins important ou moins présent. Il serait toujours là, disponible, et virtuellement Tout-Puissant. Dire que « Dieu est omniscient et qu'il comprend tout », c'est dire tout simplement que Dieu, c'est la Science.
Les êtres omniscients sont les dieux émanant de cette omniscience « divine » qu'est la connaissance, et peu importe le nom que vous leur donnez. Il plaisait aux anciens de parler de Poséidon, par exemple, le dieu des océans, tandis que les modernes parlent d'océanographie, de tectonique des plaques, de météorologie marine, etc. Ou encore, les Égyptiens incarnaient la création de l'univers par le dieu Rê, tandis qu'on parlera aujourd'hui d'astronomie, d'astrophysique, de cosmologie, etc. En Inde, pour faire fortune et obtenir la sécurité, on invoquait le dieu Vishnou ou son épouse, on préférera aujourd'hui s'adonner aux sciences économiques, à la science politique, aux sciences humaines, sociales, etc. Bref, les « êtres » omniscients ne sont pas morts mais ont simplement changé de noms. De plus, considérant les gigantesques avancées de la Science, leur nombre a considérablement décuplé. Le monde dans lequel nous vivons est un paganisme exacerbé à stupéfier la Rome antique, car les premiers omniscients, dont les philosophes, puis les scientifiques ont coupé la tête, voici qu'ils ont repoussé, mais en dix, cent, mille autres vérités venues de la même omnisciente connaissance. C'est pourquoi ces dieux monothéistes omniscients qu'on dit être la tête de ce corps omniscient, doivent précisément avoir une tête totalement difforme tant leur savoir est devenu considérable. Ils ressemblent probablement à l'Hydre de dragon reptilien qui dans la mythologie grecque faisait repousser en double les puissances qu'on parvenait à lui ôter. L'omniscience est vraiment un enfer, au même titre que la « pure conscience » qui ne supporte pas le mystère, la distance, l'intimité de l'Autre.
Il se peut donc qu'on se trompe si profondément quant à l'omniscience divine que cela nous amène à prendre Dieu pour le diabolique et le diabolique pour Dieu ; l'omniscience pour le paradis et l'ignorance pour un enfer. En effet, il nous paraît totalement scandaleux que Dieu ne soit pas omniscient tandis qu'il soumet sans difficulté les êtres omniscients à son vouloir ; c'est-à-dire qu'il est plus puissant qu'eux sans pour autant les connaître ! Et quand j'ose évoquer l'idée que Dieu ne les « connaît pas », je parle de les connaître en tant que personne, soit donc que Dieu leur refuse ce qui est propre à l'être : la liberté. Ainsi sont-ils omniscients ; précisément parce qu'ils n'ont pas la capacité de dire « non » aux vérités immuables dont ils sont en quelque sorte la représentation. Et le feraient-ils, ils devraient se nier eux-mêmes. N'est-ce pas le propre de la science de ne pouvoir nier ses théories éternelles ? Pourquoi s'en offusquer ? N'est-ce pas plutôt libérateur que nous, les êtres libres, bien que seulement capables d'effleurer la liberté, nous puissions un jour connaître ce Dieu capable de commander ce qu'il veut aux vérités omniscientes tout en les ignorant littéralement : sans qu'il n'ait besoin de se nourrir à l'arbre de leur science et de leur logique. Comme si, marchant sur les eaux de la mer de Tibériade, Dieu ne savait rien sur les lois de la pesanteur qu'il dépasse et qu'un scientifique moderne pourrait de nos jours lui conter — en théorie — avec panache.
À tel point que l'omniscience même cache le visage de ses vérités « éternelles » en Sa présence, de peur de voir le visage de Dieu et d'être consumée par sa liberté. De même, je crois que les serviteurs des omniscients, toute cette clique de sages, de religieux et autres scientifiques, ne supportent pas qu'on ne puisse pas expliquer Dieu, et que Lui-même tient tout particulièrement à ne pas se faire comprendre dans le cadre des vérités dogmatiques, se tenant de la sorte dans l'incognito du Dieu caché. Dans sa nature d'homme sage, l'humain exècre cette idée d'un Dieu qui soit caché à son intelligence, un Dieu qui ne crée pas selon des préceptes compréhensibles, mais qui fait naître des fils tel un Père, dans un acte d'amour incompréhensible. À l'instar de ces vaisseaux ennemis pourchassant le héros, l'homo sapiens préfère décrocher, perdre de vue un tel Dieu, l'oublier totalement. Et il reste là, rageant et insultant sous sa coquille d'escargot savant quand on vient de nouveau évoquer un tel Être à ses précieuses oreilles.
Ivsan Otets
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1 — le mardi 30 octobre 2012, 10:02 par M
Etes vous en contact direct avec Dieu, Christ, Saints ou Anges, ou même Marie ? Si l'on n'est pas dans l'éclat d'une Sainte Présence on est toujours un ego qui pense.Quand la guerre entre dogme et dogme se déclare, le Saint accorde son oreille à Dieu et non à l'un ni à l'autre.Pour que l'éveil se fasse et que l'homme rencontre réellement son Dieu, il faut qu'une façade de lui-même s'effrite, il faut qu'un Maître Céleste le fonde et le contacte, il faut qu'il arrête de se prendre pour le nombril de l'univers et qu'il arrête de se croire le minaret du monde.Caler l'espoir dans une religion c'est tellement classique et banal, mais la plus part des humains n'ont que cela ; ceux qui passent au travers des religieux, s'ils se sentent le courage d'affronter seuls le Ciel en entier, alors qu'ils le fassent et ne demeurent plus au pied de la Montagne à questionner les autres et à expliquer aux autres ce qu'il devrait y avoir en haut, théoriquement !La guerre des religions entretient les dogmes et les oppositions de dogmes, ceux qu'on ne convertit pas, on les tue ou on les obture imaginairement.Les belles offrandes du moi à Dieu quand l'homme garde quand même son encensement personnel et ses gloires sont des parades et des faux accords.
2 — le mardi 30 octobre 2012, 13:12 par ivsan
Il est étrange d'opposer à ce que j'écris ici, et comme seul argument, un jugement sur ma personne, un discours ad hominem. Est-ce parce qu'il vous manque de répondre à ce qui est écrit que vous basculez sur ce que vous aimeriez que j'eusse dit : un auto-encensement. À moins que mon désir d'honorer l'Être et sa liberté vous dérange ? Vous auriez peut-être préféré que je m'agenouille devant l'Ego monstrueux d'un Maître Céleste, d'une entité boulimique qui veut fusionner en elle-seule Tout et Tous.·Cette confusion est infantile et largement répandue auprès de ceux qui croient penser parce qu'ils ont un peu de vocabulaire et de rhétorique : on confond le « moi » et le « je suis ». Si la rencontre avec la vérité dernière amène l'homme, et en cela je vous rejoins, à voir « une façade de lui-même s'effriter »… dire cela, c'est dire le « non » ! Mais où est le « oui » ? Et d'ailleurs, à vous entendre, il doit y avoir pas mal de « oui », car s'il ne suffit que d'« effriter une façade » de l'homme, toute sa maison est intouchable. C'est-à-dire son ego.·Voyez-vous, je ne crois pas qu'il faille « effriter une façade » de l'homme, je crois qu'il faut le tuer totalement et entièrement ; je crois que le « non » est radical ! Mais, je crois que le « oui » aussi est radical, car j'affirme que l'Être dernier a le pouvoir de tuer entièrement l'ego pour ensuite le ressusciter en « je suis ».·L'ego est une subversion du « Je suis » et de sa liberté. L'ego est une peur et une angoisse de la liberté. Aussi désire-t-il la sécurité. Où la trouvera-t-il ? Dans la perfection. Dans l'arrêt d'être, dans l'arrêt de devenir l'être qu'il est, qu'il a été et qu'il sera. Dans cet arrêt qu'il appelle la sainteté, ces perfections immuables que lui offrent des maîtres de toutes sortes. Perfections qu'il cueille tout simplement sur l'arbre du bien et du mal, sur l'arbre des dogmes. C'est alors que le « moi » prétend être un « je ». Mais il n'est qu'un fantôme, une pâle imitation de ce qu'il n'est plus. Il n'est qu'un bout de la Grande et parfaite vérité du bien et du mal à laquelle il ne peut échapper. Car il est désormais certain qu'il n'existe aucune vérité au-delà du suprême Bien, du Bien divin, cette divinité cupide qui veut fusionner habilement les biens et les maux en l'Un de son détestable Ego. Et il est certain que tout Être qui prétend dépasser ce Suprême Bien, qui ose contester ses théories et son omniscience, que cet Être-là n'est qu'un misérable égoïste qu'il faut au plus vite crucifier et faire brûler dans les enfers.·Mais dans le royaume des « je suis », les dogmes du bien et du mal ne sont que des vérités omniscientes inférieures. Et l'Unité n'est pas leur fusion en un grand Un. Le bien est ce que veut l'Être, et le mal est ce qu'il ne veut pas. La vérité, c'est l'Être, c'est le « Je suis » de chaque-Un. Le monde des religions et des dogmes appartient précisément aux êtres parfaits, aux omniscients qui ne supportent pas qu'un Homme dise : « Je suis ». En somme, cet ego qui veut bien concéder qu'on l'effrite un peu pour le rendre plus parfait, cet ego est un être dogmatique et religieux par essence, ainsi que l'est tout ce qui tend à la perfection et à la sainteté. À contrario, l'Être est adogmatique et irréligieux. Et il se moque de la perfection théorique à laquelle il ne prétend pas ressembler. L'amour et la liberté sont les battements de son cœur, et seul compte pour Lui chaque-Un. Aussi ne craint-il nullement de briser et de scandaliser les belles façades des Maîtres célestes, ces biens universaux concoctés par de sublimes théorisations sur la vie. L'Être ne prétend pas sauver la perfection, mais faire naître de Lui des fils de l'Être qui chanteront un jour sans complexe les uns aux autres : « Tu es ». C'est ainsi que chaque-Un sera un « Je suis », non parce qu'il le dira, mais parce qu'il le sera, parce que sa liberté sera chantée par tous les fils de la liberté, par ses frères, et par son père en premier qui le reconnaîtra en le couronnant d'un nom unique.
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