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Ivsan Otets

HIVER 2011

Révisé à l’automne 2022

Format A5 : 17 pages

Ce texte est publié dans un recueil de 14 écrits d’Ivsan Otets.

Présentation du recueil : La défaite des évidences [↗︎]

À propos : Le miracle a des allures de paradoxe : tandis qu’il ravit le cœur de l’homme avec son goût de merveilleux, sa rayonnante aisance se transforme volontiers en pente glissante pour la foi. Qui dois-je suivre ? Le thaumaturge qui comble les brèches du réel et remplit mon sein ou bien l’Être qui me parle d’exister ? L’un et l’autre sont-ils forcément en contradiction ? Quel message porte le « signe » que l’on réclame à Dieu et en quoi le miracle est-il un jugement ?

Dans cette réflexion sur le rapport respectif des hommes et du Christ aux miracles sont exposés plusieurs des thèmes principaux du discours akklésiastique et « chrétien existentiel ». Des thèmes qui seront repris et développés dans des textes postérieurs en une formulation parfois plus allusive.


Têtes de chapitre :
Sur la montagne ;
Au désert ;
Le règne ;
À Jérusalem ;
La nuit ;
Le figuier.


Le jugement des miracles

extrait


PAGES 3-4

Cette « gloire de la malédiction » est justement le thème d’ouverture choisi par le Christ dans son discours qu’on intitule à juste titre Sur la Montagne (mat 5-7). Tandis que le Nazaréen débute avec son fameux : « Vous êtes le sel de la terre et la lumière du monde », le christianisme s’empare naïvement de cette « mission » comme lui étant adressée directement. Ce qui est faux ! Le sel et la lumière, c’est précisément le rayonnement du procès que la tôrah fait aux hommes, avec ses capacités pour assainir et purifier la conscience ; si les moralistes, les penseurs et autres faiseurs de paix plus ou moins miraculeuses ont hérité de cette tâche en proclamant les lois de la réalité raisonnable, le christianisme a quant à lui reçu l’injonction expresse de ne pas entrer dans cette danse ! Les civilisateurs éclairés – croyants ou athées – ont toujours été légion, travaillant d’arrache-pied pour faire sortir l’humanité de la barbarie, pour l’éveiller, pour l’innocenter du procès par le procès, afin que jaillisse de ses morales, de ses connaissances et de ses spiritualités le miracle de notre destinée : la perfection terrestre.

PAGES 6-7

C’est donc en prophétisant une royauté terrestre que l’imposture d’une telle puissance est dès lors démasquée ; et son insistance à rendre publics ses prodiges afin de se justifier est le sourire du mensonge. Nous connaissons le mot sévère et répété du Christ de ne pas user du phénomène miraculeux comme outil de propagande, de « ne rien dire à personne » (mar 736, luc 856, etc.) ; c’est hélas tout le contraire que font les mystiques et guérisseurs en tout genre, à l’instar des œuvres ekklésiastiques telles que les pèlerinages à Lourdes ou les croisades de R. Bonnke.

L’action directe du Christ est invisible. Où pourrai-je entendre ses exodes ailleurs qu’en mon cœur ? Qui connaîtra de moi ce qui est caché en lui ? De même qu’il n’y a de résurrection que là où il y a des tombeaux [1], l’œuvre réelle du Christ est un écho, une parabole, une évocation, un à-venir. Ce qui la précède dans la réalité, c’est l’illusion, la négation et l’échec ; les efforts pathétiques pour réparer le monde, le zèle de la raison, les lois morales, les faux espoirs des miracles ; ces phénomènes-là sont l’accroissement du règne du Christ, c’est-à-dire de son refus des évidences, de son « non ».

PAGES 10-11

Tandis qu’il s’obstine à séparer, le Christ induit en même temps à sa condamnation. En mettant en doute le culte public et en jugeant directement ses chefs, il leur offre son propre procès. Ainsi leur rend-il le règne des évidences dont ses miracles les avaient privés. Il consent au retour de l’ancienne autorité qu’il avait brièvement interrompue par ses prodiges : l’autorité de la guerre, c’est-à-dire la réalité du bien contre le mal. Ce pouvoir moral, qui prétend être le messager de la paix universelle, a pour prophètes les religieux et les politiques. Le malheur est que leur dictat sera plus aveugle que jamais ! Comment pourront-ils désormais ignorer qu’un seul mot d’en-haut suffit pour effacer leur domination et briser leur roc ? Ne voient-ils pas que leur règne est un trompe-l’œil et leur paix une chimère ? N’ont-ils pas appris des antiques prophètes que Dieu rend sourds et aveugles les sages qui détiennent la vérité (és. 6) ? Car le Christ leur a remis une couronne de papier en déposant entre leurs mains la loi avec ses guerres, mais dans l’incognito, et de manière insaisissable, il se sert encore d’eux et de la lumière de leur procès. Il poursuit son processus de séparations et d’exodes, laissant les uns aux évidences lumineuses de l’expérience religieuse, et faisant sortir d’autres, en les appelant par leur nom, ceux qui, comme lui, quittent la mascarade politico-religieuse et le suivent à Béthanie « où il passa la nuit » (2117).

PAGE 14

Le jour suivant son jugement contre la royauté miraculeuse, le Christ revint à Jérusalem. Il trouva en chemin un figuier où il ne découvrit aucun fruit pour assouvir sa faim. Il déclara alors à l’arbre qu’il serait désormais stérile et il advint que ce dernier séchât à l’instant. Le miracle accompli, Jésus eut donc encore faim ! Pourquoi n’a-t-il pas choisi d’enrichir la plante afin que paraisse aussitôt une abondance de figues ? En outre, pour rajouter à l’incohérence, il explique le mystère de son acte par une énigme, affirmant que l’homme qui aurait foi et ne douterait pas ferait pareillement au figuier ; qu’il pourrait même parler à une montagne de se lever et de se jeter dans la mer, car cela se réaliserait ! Pourquoi s’en prend-il injustement à un arbre, se privant ainsi définitivement de manger, puis finalement « pérore » en discourant sur la foi ? Le Christ serait-il un déséquilibré tandis que nous serions bien portants ? À moins qu’il ne soit Roi et que nous ne sachions pas ce que cela veut dire.

Car en tous lieux où marche un roi les portes s’ouvrent.

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[1] Nietzsche, cité par Karl Barth, L’Épître aux Romains, p.396.