Vous retrouverez sur la page de présentation de l’auteur deux documents sonores dans lesquels on peut entendre Jacques ELLUL s’exprimer sur des sujets divers :
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Chère Dianitsa, cher IvsanTout d´abord laissez-moi vous communiquer l´intérêt que suscitent, chez moi ainsi que dans mon entourage, vos dialogues. Ils aident à une meilleure compréhension de l´être humain, et permettent d´augmenter la non-dépendance aux dogmatismes.Ce dialogue m´a incité à lire le Livre de Job, et je dois avouer que j´ai été surpris, au cours de cette lecture, par plusieurs faits, qui sont les suivants :1- La grande patience (peut-on digresser vers amour, puisque se montrer patient envers quelqu´un est une des composantes de l´amour) que Dieu a envers Satan.2- La grande confiance (peut-on digresser vers amour, puisque avoir confiance en quelqu´un est une des composantes de l´amour) que Dieu a en Job.3- Que les hommes ne peuvent connaître les intentions de Dieu.
Le premier fait est écrit dans les premières lignes du livre de Job :« Et c'est le jour, les fils d'Elohîms viennent se poster devant IHVH-Adonaï. Mais le Satân vient aussi avec eux.7 IHVH-Adonaï dit au Satân : "D'où viens-tu ? Le Satân répond à IHVH-Adonaï et dit : "De naviguer sur terre et d'y cheminer".8 IHVH-Adonaï dit au Satân : "As-tu mis ton coeur sur mon serviteur Iob ? Non, il n'est pas sur terre d'homme semblable à lui, intègre et droit. Il frémit d'Elohîms et s'écarte du mal".9 Le Satân répond à IHVH-Adonaï et dit : "Est-ce gratuitement que Iob frémit d'Elohîms ?10 N'est-ce pas toi-même qui l'a couvert, lui, sa maison, et tout ce qui est à lui, autour ? Tu bénis l'oeuvre de ses mains, et son cheptel fait brèche sur terre.11 Cependant, envoie donc ta main, touche à tout ce qu'il a : il te 'bénira', contre tes faces"!12 IHVH-Adonaï dit au Satân : "Voici, tout ce qui est à lui est en ta main. Seulement, n'envoie pas ta main contre lui"! Le Satân sort loin des faces de IHVH-Adonaï »
On peut lire ce passage de la manière suivante, que Dieu est prêt-à-risquer Job pour faire comprendre au Satan qu´il se trompe sur la nature de l´homme voulue par Dieu.Ce passage se répète plus loin quand Dieu tente encore une fois le Satan, et lui permet d´infliger de nouvelles calamités à Job.Dieu montre donc une grande patience envers Satan (aux frais de Job) afin qu´il admette qu´il a tort.
Le deuxième point est la confiance que Dieu a en Job, et qui est l´inverse de la pensée précédente. En effet, Dieu est prêt à se risquer en face de Satan en permettant que Job soit malmené (donc à risquer sa foi). Dieu aurait très bien pu communiquer à Job qu´il avait autorisé le Satan à lui infliger des calamités pour tester sa foi en Lui, mais cela n´a pas été fait.
Ce qui nous amène au troisième point qui est que ni Job, ni sa femme, ni ses amis ne connaissent le motif réel de Dieu. (Job doit renier Dieu, Dieu est inique, Job a du faire quelque chose de mal…. Alors que tout part d´une discussion entre Satan et Dieu et que Job n´a rien à voir avec tout cela. En fait il est le champion des justes et c´est pour cela qu´il a été choisi….)
Voici mes réflexions sur la lecture du livre de Job.
En vous remerciant pour votre œuvre.
Olivier
Bonjour Olivier,
Nous avons lu votre commentaire avec intérêt et attention. À remarquer votre attitude face au texte biblique, cela ne peut que nous encourager. Avoir, comme vous, de l’audace avec le texte et le courage de le triturer, le questionner, le mettre en question, etc. : c’est précisément cela qui nous plaît. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut avancer : en sortant des ornières tellement empruntées par les innombrables lecteurs paresseux, pour ne pas dire « ensorcelés »…
Bref… votre propos sur le livre de Job m’intéresse, et bien sûr, j’y répondrai. Toutefois, je vous propose la chose suivante. Nous sommes en cours de faire une troisième et dernière causerie sur le thème de « la prière », et nous nous demandions précisément si nous n’allions pas insérer ici quelques réflexions sur Job. En effet, nous gardions notre réflexion sur ce livre pour la causerie sur “le satan”, laquelle cependant est en stand by pour diverses raisons. Ainsi votre intervention tombe à propos. Nous avons donc décidé de profiter de notre dernière causerie sur « la prière » pour quelque peu développer notre façon de faire face au texte de Job. Nous le ferons avec votre commentaire sous les yeux (que nous avons imprimé). Je pense que vous y trouverez nos réponses, celles que j’aurais sinon formulées par écrit. N’y voyez pas de la paresse de notre part. Notre situation personnelle est assez étouffante et je suis actuellement bien « gêné » pour me consacrer à mon activité essentielle qu’est l’écriture. De plus, nous sommes, la tête dans le guidon, dans un projet d’animation en vue de présenter la « Proclamation akklésiastique », elle-même loin d’être terminée en termes d’écriture. C’est un projet qui nous réclame beaucoup d’énergie et pas mal d’embûches ; nous souffrons notamment avec les illustrations et les dessins dont nous avons besoin pour l’animation.
Enfin, il nous semble normal de vous offrir cette dernière causerie sur « la prière » puisque nous y glisserons une réflexion sur Job dont vous nous partagez votre lecture. En réalité, il me semble que le livre de Job nous oblige à briser un sceau sacré. Je pense même qu’il faut le faire en quelque sorte contre l’auteur, c’est-à-dire que lui-même n’osa pas le briser, bien qu’il n’en soit pas loin. Impossible autrement, selon moi, de se dépatouiller du satan ; c’est-à-dire que ce dernier reste toujours vainqueur. À savoir qu’il nous entraîne continuellement vers une réflexion qui s’ingénie et se tord dans tous les sens pour justifier Dieu afin que la souffrance soit acceptable… dans une perspective « spirituelle », et patati et patata. La souffrance n’est ni acceptable ni justifiable, et une mort qui aurait une audience légitime devant le visage de la vie, c’est tout simplement ôter à la vie son visage vivifiant. La vie est-elle encore de la vie lorsque la mort a un droit d’accès juridique en sa présence ? Non. Aussi Dieu n’est-il tout simplement pas présent dans le livre de Job. Il faut briser ce sceau, c’est tout ! Si ce livre a une chose à dire, c’est d’abord cela : Dieu ne peut nous servir pour légitimer la souffrance, et il ne la légitime pas. Cette prétendue légitimation divine de nos tortures est en vérité un accord, une industrie entre l’Élohim et le Satan ; le consortium élohim-satan dans une entente secrète et mystérieuse entre ces deux parties. Entente « secrète » parce que précisément un sortilège tant l’homme ne voit pas ici une « entente entre le bien et le mal » mais un conflit entre le bien et le mal. À partir de là, tout développement sur la lecture de Job prend une tout autre direction. Dès le départ. Les questions sur l’amour, la patience, la confiance dévoilent alors une tout autre perspective. La raison s’effondre. Je ne crois pas que même Dieu puisse justifier la souffrance et la mort. Je crois qu’il ne veut en aucun cas justifier que le satan puisse être en Sa présence. Or, plus remarquable encore : je ne crois pas qu’il puisse justifier que la Justice vienne en sa présence, soit donc pas plus le Mal que la Bien. Ainsi donc, où est Dieu dans le livre de Job ? Ouf ! enfin « la question ». Il n’est ni dans le mal, ni dans le bien. N’est-il pas dans le meilleur ? Job, comme ses amis, n’avait-il pas de Dieu une idée absolument tordue ? N’avait-il pas, en définitive, essayé de « fabriquer » un Dieu tandis qu’il ne peut, désormais, sur son tas de fumier, concevoir cet Être qui le dépasse totalement ? Et ce faisant, n’est-il pas, enfin, en train de Le trouver ?
Ainsi donc, c’est nous qui justifions la souffrance et la mort, nous, les Hommes. L’homme, cet homo sapiens absent de Dieu est en soi la justification de la souffrance. Et il est plus précisément la légitimation de la Justice, c’est-à-dire qu’il légitime le Bien et le Mal. Il s’ensuit que c’est la Raison de cet homo sapiens qui justifie la mort et la souffrance. Nous ne pouvons les justifier que raisonnablement et par la raison. Et plus concrètement, si nous voulions les démentir, les délégitimer, il nous faudrait retourner, soit dans l’animalité, soit dans la folie et l’inconscience. À moins que nous puissions croire, concevoir, percevoir et saisir cette autre nature de l’Être : celle du Fils de l’homme. En ce cas me direz-vous, le Fils de l’homme ne rend-il pas la souffrance de l’homme légitime puisqu'il serait son à-venir ? Du côté de l’homme, oui, mais pas du côté du Fils de l’homme. Pourquoi ? Parce que l’homme n’existe pas pour le Fils de l’homme. Le Fils de l’homme ne voit en l’homme que son devenir, son à-venir… C'est une position de Sa part que nous appelons faussement Son amour pour l’homme tandis que c’est Son amour pour le frère caché qu’il fait naître en nous. L’homme n’existe que pour la Nature, pour ses forces, au regard de son génie, du haut de sa raison – dans la tête de ses dieux, du haut de leur tribunal céleste et lumineux, là-bas, dans leur secrète entente entre l'élohim et le satan. Et les dieux sont précisément dignes de jugement parce qu’ils justifient l’injustifiable, parce qu’ils sont aveugles, parce qu’ils ne voient pas le caché – le fils de l’homme qui vient en nous et que Dieu aime comme un Fils aimé par son Père, étant prêt à tout pour Lui.
Bref… nous vous communiquerons le lien pour télécharger par mail la prochaine causerie dès que nous l’aurons montée (nous utiliserons, si vous le voulez bien, le mail que vous avez stipulé lors de votre post).
Bien à vous, ivsan
Bonjour Ivsan,
Merci pour votre réponse et nous avons hâte d´entendre vos pensées. Vous pouvez sans aucun problème utiliser l´adresse mail de mon post.
Effectivement, je trouve que la femme de Job, les amis échafaudent des constructions sur l’intention de Dieu, les raisons du malheur de Job etc… Alors qu´ils n´ont pas accès à la réalité.
Ce qui est le propre de l´homme de créer de l´opinion, de l´idée sans avoir toutes les données, sans être capable de penser l´impensable et cela en fonction de notre propre expérience, formation, formatage, culture voire intérêt. C´est ce qu´ont fait les amis de Job ainsi que sa femme : rester dans les normes.
Job m´apparait comme étant non seulement Juste (d´après la loi) mais bien plus une personne ayant une volonté hors norme dans la foi. Et peut-être, est-ce ce que Dieu a vu en lui, plus que le champion de la loi. Et si on pense cela, cela signifie alors que Dieu savait que Job ne s´attacherait pas à l´accessoire mais à l´essentiel. Et qu´il pouvait donc autoriser le satan à malmener Job, puisqu´il ne pourrait que toucher à l´accessoire.
Je trouve que ce que vous dites sur le fait que « l´homme n´existe que dans la nature » est bien trouvé, et que, effectivement, « être homme » est le passage obligé avant de devenir « fils de l´homme » et « être frère ». Cette lecture a cependant un léger problème : le problème de la responsabilité. Car si le fait naturel devient secondaire, certains hommes peuvent le comprendre et l´interpréter comme la porte ouverte au tout et n´importe quoi (et c´est d´ailleurs ce que l´on voit dans nos société). Est-ce, peut-être, la raison pour laquelle beaucoup d´hommes ont besoin d´assurance (la religion, la société, le capitalisme….), besoin contre lequel des hommes (Pascal, Kierkegaard….. Jésus aussi, d´une certaine manière) se sont toujours battus.Ce que vous dîtes, d´ailleurs, dans une autre discussion. Le passage à l’âge adulte ne se fait toujours pas, malgré toutes nos « technologies », il nous manque toujours ce petit « supplément d´âme » et c´est pour cela que les structures (la bergerie par exemple) sont toujours, malheureusement, nécessaires. Vous travaillez à y remédier avec votre intuition/réflexion/travail et communication.
Il y a un autre point que j´ai relevé dans vos discussions qui est le fait d´interpréter les évangiles en fonction du présent. En effet, j´ai rencontré beaucoup de personnes chrétiennes qui voient/lisent/comprennent les évangiles comme étant une chose fixe, sans les mettre au gout du jour (les pharisiens, et bien c´étaient les pharisiens sans plus, sans voir que les pharisiens d´hier sont les gardiens de la loi d´aujourd´hui… on a les mêmes mais sous d´autres noms..). Vous le mettez en perspective. Et cela me plaît beaucoup. Mettre l´architecture en mouvement….
Bien à vous,
Bonsoir Ivsan,
Après relecture de votre réponse, il semble que je vous ai mal compris, et ceci dans le passage suivant : « Non. Aussi Dieu n’est-il tout simplement pas présent dans le livre de Job. Il faut briser ce sceau, c’est tout ! Si ce livre a une chose à dire, c’est d’abord cela : Dieu ne peut nous servir pour légitimer la souffrance, et il ne la légitime pas. »
Votre pensée s´applique donc, également, au passage du livre de Job que j´ai cité dans mon premier post ?
Dans ce cas-là le livre de Job ne serait ni plus ni moins qu´une critique du fait que les hommes usent Dieu pour justifier la souffrance. Toutes les surenchères de souffrance subie par Job, des condamnations par sa femme et ses amis, et la relation dieu-satan, ne seraient rien de plus que des images pour comprendre que l´homme-sapiens ne peut savoir, mais la volonté dans la foi transforme cet homme-sapiens (Job) en autre chose que livre de Job ne dit pas (le Fils de l´Homme).
(il est vrai que admettre que Dieu puisse permettre la mort des fils de Job alors qu´ils sont homme-sapiens, tout comme Job, laisse pantois)
Mes mots expliquent-ils bien votre pensée ?
Olivier,
Je suis actuellement dans l’incapacité de vous répondre… en tous les cas de façon soigneuse et concentrée comme il me plaît de le faire habituellement. Nous sommes particulièrement éprouvés par diverses circonstances plutôt difficiles à gérer. · L’avenir devenant plus dégagé, je vous répondrai donc avec attention ; et, comme promis, je vous communiquerai la causerie promise, laquelle, bien sûr (hélas), n’est pas encore achevée. · Merci pour votre patience cher ami. Bien à vous, ivsan
Cher Olivier,
Merci pour votre patience et votre compréhension. Je compte répondre à votre dernier propos dans le cours de cette semaine… Les choses se calment ici… Ainsi nous comptons aussi pouvoir enregistrer la dernière causerie sur la prière cette semaine ; causerie à propos de laquelle je n'oublie pas la promesse que je vous ai faite.
À bientôt, ivsan
Cher Ivsan,
Merci pour votre mot. Mais, ne vous en faîtes pas pour le temps que vous mettez à me répondre ou pour terminer votre causerie. Je comprends parfaitement que la vie n´est pas linéaire et j´espère que vos aléas ne sont pas insurmontables. Cordialement, Olivier
Je vais essayer de répondre à ce qu’il me semble comprendre de vos réflexions concernant notre échange sur le livre de Job. Développer succinctement comment j’aborde ce livre et ce que j’en extrais. – Je crois tout d’abord (il faut le répéter), et comme c’est le cas pour l’ensemble de l’Écriture, qu’il faut se libérer du mythe de « la parfaite inspiration » du texte. L’auteur du livre de Job a quelque chose à dire venant d’un contact qu’il a avec le Ciel ; il voit et entend quelque chose. Mais il est d’autre part encore empêtré dans une représentation de Dieu fort banale et par trop religieuse. Car il nous décrit Dieu comme la haute Vertu vis à vis d’un Mal vicieux. De là en vient-il à ce débat tellement exposé ici et là en théologie et en philosophie : comment agencer la Toute-puissance divine avec la liberté de l’homme ? Comment la Toute-puissance qui tient dans sa main la destinée de toute chose peut-elle être innocentée de la souffrance humaine ? Comment responsabiliser l’homme pour ses souffrances bien que le divin conserve à cet égard tous les pouvoirs pour l’en délivrer ? Le livre de Job devient dès lors très vite une simple théodicée. Il s’agit de résoudre la contradiction que nous présente les concepts de mal, de souffrance, de justice divine et de bonté divine. La conclusion vient alors, outrageante, et qui satisfait toutes les parties : on confond responsabilité et liberté puis on se sert de Dieu pour légitimer la souffrance. N’a-t-il pas donné la liberté à l’homme de bien faire ou de mal faire ? Aussi est-il juste que l’homme subisse les dommages qu’il mérite lorsqu’il choisit le mal.
La liberté n’est pas selon moi le pouvoir de choisir entre le Bien et le Mal. Bien plus, ce pouvoir-là est selon moi, précisément – le Mal ! Il est ainsi une subversion de la liberté où la liberté est subtilement métamorphosée en responsabilité face à la Justice du Bien et du Mal. Dès l’instant où l’homme met dans sa bouche le fruit cet arbre de la connaissance, cet arbre du choix, dès l’instant qu’il se nourrit et croit que les données dualistes de la Réalité sont les clefs du divin – il rate Dieu. Toutefois (et toute la difficulté est là), cet acte, cette démarche de l’homme est déjà une dimension « spirituelle » de son être en train de sourdre. En effet, cet acte lui permet de dépasser l’Animalité et de justement devenir l’Homme : il prend conscience et parle de Liberté. Mais cet Homme devenu sapiens est néanmoins, aux yeux de Dieu, très exactement le raté, celui qui n’est pas encore accompli, le non-né : le pécheur. Être pécheur, c’est donc déjà être spirituel (encore une difficulté), et c’est d’ailleurs ainsi que parle le Christ dans la parabole du fils prodigue. « Le péché est la condition de la grâce. » dit ailleurs Dostoïevsky. De fait (et la difficulté va croissant), le Mal inclut en lui, et le bien, et le mal. Car le Mal s’incarne dans cette fausse liberté spiritualisante qui nous place devant le choix vertueux de faire le bien ou de faire le mal. Par conséquent, il y a une Justice dite divine, car ayant une dimension positive en faisant évoluer l’homme au-dessus de l’animalité, mais cette justice n’est somme toute que terrestre, angélique et logique. C’est celle de la thora, de la raison, de l’arbre de la connaissance. Et il y a effectivement une Justice qui la dépasse : la Justice du royaume des cieux disait le Christ. Cette justice-là se sert de la première comme d’un outil. En effet, elle ne craint pas que la justice du bien et du mal prenne le titre de justice divine, car plus elle prendra un tel titre, et plus elle conduira l’homme dans une impasse impitoyable et le nourrira d’une amertume insupportable. Alors sera le temps, le Temps de lui révéler la vérité ! De lui parler de la folle justice du royaume des cieux.
Ma démarche est de fait simple. Je dis à l’auteur du livre : Je te remercie car tu as vu quelque chose et je crois bien que je vois aussi cela. Toutefois, tu es resté embourbé dans cette vieille et malsaine représentation de Dieu assis au pied de l’arbre du bien et du mal et seul capable de pratiquer la parfaite vertu. Je vais donc triturer ton texte et tenter de lui faire dire plus directement ce que tu as commencé à lui faire dire. Ainsi, je le commenterai de la manière suivante : Dieu n’est pas présent dans la description du ciel que tu nous montres. Car dans ta description Dieu reçoit le satan comme si le Bien donnait au Mal quelques prérogatives, et comme si le Mal servait à encenser le Bien. Tu nous montres là, précisément, la justice terrestre, là où Mal et Bien sont de connivence afin que l’homme se soumette à la Raison et devienne, sans broncher, un « obéissant ». Tu ne nous montres pas la justice du Christ, et c’est seulement dans le discours de Job, par la suite, que l’on voit sourdre cette perspective. Certes, la tentation est grande, car lorsque l’on considère la justice du bien et du mal comme étant la justice divine, il est alors fort simple de se servir de cela pour légitimer la souffrance de l’homme, pour l’expliquer « spirituellement », et pour résoudre les contradictions de la théodicée. Dieu légitime la souffrance de l’homme dira-t-on, et Il s’en sort blanc comme un linge. L’homme mérite ce qu’il subit parce qu’il n’est pas assez vertueux, mais, se soumettant à ce jugement, il accèdera plus haut dans la vertu, plus près du divin qui, par sa bonté, lui donne un tel accès. Mais ! A contrario, dès l’instant où la justice du bien et du mal n’est pas divine, impossible de se servir de Dieu pour légitimer la souffrance. Je dis que Dieu ne peut nous servir pour légitimer la souffrance et qu’Il n’est pas présent dans cette connivence machiavélique que le bien et le mal manigancent entre eux pour nous soumettre à la raison et à ses dogmes. Dieu ne légitime pas la souffrance et je pense même qu’il la hait plus que nous. Ainsi donc, même dans ses erreurs, ce livre me nourrit, car en me conduisant dans la contradiction de cette scène « Dieu/le satan », il me permet d’aller plus avant dans ma recherche. Un propos inspiré, c’est un frère qui comme moi cherche, mais qui n’écrit pas ce qu’il trouve sur des tables de pierre comme si sa recherche était achevée. Je crois que tel est l’auteur du livre de Job, aussi je crois qu’il est un des livres les plus profonds de l’AT. Son pendant était le Cantique, où, là aussi, Dieu est plus présent que jamais – par son absence.
Enfin, on me dira peut-être la chose suivante : « Ne fais-tu pas cette même erreur de connivence malsaine entre Dieu et le satan que tu remarques au début du livre de Job ? Car tu dis : Lorsque la justice du bien et du mal prend le titre de justice divine, elle conduit alors l’homme dans une impasse impitoyable et elle le nourrit d’une amertume insupportable. C’est ainsi que vient le temps, le Temps de révéler à l’homme la vérité ! De lui parler de la folle justice du royaume des cieux. N’es-tu pas, toi aussi, en train de dire que l’impasse et l’amertume du mal conduit l’homme à Dieu ? — L’impasse et l’amertume ne sont pas à mes yeux ces tueurs, violeurs et inquisiteurs devenus le bras de Dieu. La souffrance, c’est de découvrir que j’ai cru, moi aussi, que le Bien luttant contre le Mal est la justice divine ; et que cette conception du divin m’a conduit à devenir ce saint-raté, ce religieux moraliste et inquisiteur qui mérite plus que les criminels d’être giflé par Dieu. C’est certain, cette souffrance-là m’a conduit à naître d’En-haut, c’est vrai ; à chercher de Dieu la représentation que Lui me donnera, du sein de sa Vie, et non du sein des doctrines de la Vertu en lutte contre le Vice. Je ne confonds pas « le mal » venu du criminel et « le mal » que produit la naissance spirituelle ; je ne confonds pas le tueur avec la sage femme. Toutefois, il est vrai que la sage femme tue l’embryon et que l’enfant qui naît souffre et crie en voyant ses poumons se décoller alors qu’il respire enfin par lui-même, qu’il goûte à sa liberté, cette liberté appelée à croître davantage encore, à naître encore plus. La position de Dieu est peut-être celle de la sage femme, tandis que la nôtre est celle que nous vivons dans cette naissance spirituelle : un embryon qui se meurt et un être entrant dans la liberté que l’Esprit lui infuse contre toute raison et follement. Si tous ceux qui sont victimes de criminels, de ce que nous appelons communément le mal, naissaient d’En-haut, tous les hommes seraient des Fils de l’homme. Il est vrai qu’on se vante souvent de nos épreuves face au « mal » comme étant spirituelles parce qu’elles nous ont moralisés et bonifiés, parce qu’elles nous ont rendus plus adulte et conscients de notre prochain. Mais quelles valeurs ont-elles ? Celle du repentir de la raison, moral, religieux ; le repentir de l’animal devenant un homme civilisé. Ici, Dieu est en retrait, il n’est pas encore là, la sage femme est encore à-venir. Mais ici, il est vrai, nous sommes tentés de réitérer la même question, de nouveau : Comment Dieu peut-il justifier une telle absence ? La perspective de la naissance spirituelle et de son extraordinaire liberté suffit-elle à légitimer la souffrance induite par la moralisation de l’être ? On tourne en rond.
Je crois qu’aucune réponse n’est satisfaisante. On ne peut tout simplement pas légitimer la souffrance que nous subissons contre notre volonté. C’est ainsi que la seule réponse possible c’est d’atteindre l’état, l’être, la stature, la position que Dieu a lorsqu’il est, précisément, face à ce qui est pour nous le dilemme de la souffrance et de ses pourquoi. Et ce faisant, quelle surprise ! Je n’ai plus aucun souvenir de ma souffrance. Elle m’est étrangère tant celui qui l’a vécue m’est un étranger : parce qu’il n’est plus et que je suis tout autre. Je suis non seulement innocent, mais je ne rends plus aucun compte à la justice du bien et du mal. Je ne souffre plus. Et il est impossible que la souffrance puisse désormais s'imposer à moi, de même qu'il est impossible que désormais le tribunal du bien et du mal me demande de justifier mes actes et mes intentions. Alors vient le temps de cette capacité divine totalement incompréhensible : je peux souffrir, volontairement, moi l’innocent, pour celui que la justice du bien et du mal persuade encore qu’il est coupable. C’est précisément ce qu’a fait le Christ. Il a bu cette coupe de notre fausse culpabilité et de ses criminels, cette clique de saints et de justes savonnés à l'eau des lois morales et de la logique, puis Il a brisé leur jugement : il ressuscita. Il est entré dans la scène que Job décrit au ciel et a posé une inconnue irrésoluble que la connivence entre les dieux et le satan ne parviendra jamais à résoudre. Ce faisant, il m’attire à Lui vers cette autre réalité inconnue et totalement adogmatique. Et de là-bas, Il me donne le même Esprit venu de cette autre justice, justice qui est au-delà des lois du Bien. Et par l’Esprit éclate en moi cette vieille justice des vertueux et de la sagesse morale. Je nais ; et je crie. Car je souffre d’être si loin de cette autre réalité, d’être en si grand désaccord avec la réalité dans laquelle je vis encore physiquement. Puis lorsque le monde-à-venir s’approche trop près de moi, alors se décolle davantage mes poumons tant je suis encore par trop cet homme raisonnable, et qu'à cause de cela j'ai si peu de foi pour soumettre à ma volonté les tribunaux du bien et du mal.
bien à vous Olivier, Ivsan
Merci pour votre texte qui est extrêmement révélateur de votre pensée.
Pour revenir succinctement au texte de Job et à votre texte, on peut s’apercevoir, effectivement, que Dieu n’est pas présent, et que l’auteur crée une relation entre Dieu et le Satan (pari que Job ne reniera pas Dieu) afin de pouvoir justifier les souffrances de Job.Cependant, la continuité et la persévérance de Job dans sa Foi, nous donne une indication de où pourrait se trouver Dieu.
Votre image de la naissance du bébé/fin de l'embryon et de la douleur lors de la première respiration dans le nouveau monde est, somme toute, fort éclairante. Et je vous rejoins dans le fait que pour changer de monde il faut abandonner l'ancien et que cela peut être douloureux, mais que cette possible douleur est uniquement actée dans l'ancien monde.
Si je peux me permettre, je pense que les hommes sont des animaux peureux, nous avons donc toujours cherché des moyens pour garantir notre existence et avons mis en place tous ces dogmes au sujet du bien et du mal. Et je pense que cela est, pour nous autres les hommes, très perturbateur que de s'extraire de notre condition matérielle, puisque nous en avons fait le substrat de toutes nos sociétés. Et beaucoup d'entre-nous préfère rester dans les illusions (qu'elles soient religieuses, sociétales, matérielles, de souffrances…). Or, et je vous rejoins là-dessus, Dieu est extérieur au bien/mal terrestre.
En avançant dans une réflexion, quant à nos déterminismes matériels, je suis arrivé à une conclusion (possiblement temporaire) que l'on pourrait faire du « mal » (voler, ou pour des gens riches s’enrichir grâce à la sueur des autres) et que cela pourrait ne pas être « problématique » si et seulement si cela est perçu comme étant un moyen temporaire pour pouvoir développer sa condition Existentielle et changer DE monde. Ou, humoureusement (petit néologisme), que Dieu fasse gagner au loto les sapiens ancrés dans la voie Existentielle afin de les exclure de ce déterminisme matériel… En revanche, si cela est fait pour se complaire dans la matérialité, cela est la pire des trahisons, des négations, et montre la bassesse de l'homme qui le pratique.
Plus sérieusement, le « changer De monde » est à ne jamais perdre de vue. Cela est le propre et le terrible du sapiens/Fils-de-l'homme-en-devenir et vous l'avez admirablement exposé.
Amicalement,
salutations,
Merci pour votre réflexion. C’est d’un plaisir de rencontrer enfin de l’audace à penser. Pour ce qui est de la perspective de « l’animal peureux » que vous évoquez, c’est tout à fait exact et je crois qu’il y a ici un vrai travail à creuser. J’ai longtemps eu comme leitmotiv cette pensée venue de Kierkegaard que j’ai trouvée dans sa lecture de Genèse 3 : « L’angoisse est le vertige de la liberté. » La liberté crée de l’angoisse, et pour ne pas l’affronter, pour s’en garantir, en effet, on invente le sol solide du bien et du mal. On fait alors reculer l’angoisse, pour un temps, et, pour toujours, on perd la liberté, sa folie, son infini des possibles, pour reprendre encore une expression de K. Soit donc, la peur est probablement une des armes favorites de la raison et de la morale. Les Grecs parlaient de l’audace. En ce qui me concerne, je crois qu’aujourd’hui la peur s’est métamorphosée en « peur du ridicule », d’être montré du doigt, remarqué, etc. C’est le mode de vie bourgeois et qu’aujourd’hui le pauvre et l’ouvrier ont assimilé en eux… grâce à la propagande de l’image. C’est subtil, vicieux. Je le répète, je crois qu’il y a ici un vrai travail spirituel à investiguer où la tiédeur, la politesse et le correctement social se révèlent être le nouveau vêtement de la peur.
Pour ce qui est de cette autre remarque : « Faire le “mal” si et seulement si cela est perçu comme étant un moyen temporaire pour pouvoir développer sa condition Existentielle et changer DE monde. […] Afin d’exclure les sapiens ancrés dans la voie Existentielle du déterminisme matériel… » — J’en suis moi aussi arrivé à considérer cette réflexion. Comment, pour être honnête, ne pas le faire quand le cheminement existentiel conduit un homme à presque tout perdre (carrière, famille, reconnaissance sociale, argent et santé) ? Je suis certain que sortir des lois ne pose aucun problème à Dieu. Certes, par contre, nuire à l’autre : niet de niet. De plus, ce genre de réflexions doit être caché (chut…). Car à voir comment l’Écriture a été tordue, c’est là ouvrir une porte dangereuse. Il faut une extrême maturité pour recevoir d’En-haut une telle permission, une maturité des plus rarissime. C’est la maturité du miracle, car qu’est-ce qu’un miracle sinon désobéir aux lois ? Mais où est cette maturité ? Car au moindre miracle la floppée ecclésiastique se met à chanter sur les toits, comment dès lors Dieu donnerait une telle autorité sur les lois ?
respectueusement, ivsan
Merci pour votre réponse. J´apprécie le temps et les connaissances/intuitions/réflexions que vous partagez avec nous sur ce site ainsi que dans vos commentaires.
Votre formule « la maturité du miracle » ainsi que la définition du miracle m´est apparue comme étant si proche de la Vérité qu´il n´y a, finalement, rien à ajouter.
Je vous remercie pour l´indication du texte de Kierkegaard, j´essayerai d´y jeter un coup d´œil (attentif) dans les jours qui viennent.
Effectivement, « l´angoisse est le vertige de la liberté » est un sujet qui mérite que l´on s´y arrête, car, finalement, toutes nos sociétés sont basées sur l´angoisse et non pas sur la liberté. Et, tout est fait pour nous éloigner de ce qui est, finalement, le plus important.
Une fois que l´on en a pris conscience, et que cela est intériorisé, il n´y a pas de retour possible ; il faut, cependant, essayer de ne pas se perdre en chemin. La Foi seule.
Amicalement, Olivier
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