Vous retrouverez sur la page de présentation de l’auteur deux documents sonores dans lesquels on peut entendre Jacques ELLUL s’exprimer sur des sujets divers :
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Dieu est-il un anarchiste ?
· NI DIEU NI MAÎTRE · Nous ne voulons ni dieu ni maître Entravant notre liberté, Mais nous voulons voir apparaître Le soleil de l’égalité.
C’est ainsi que débute un célèbre chant anarchiste datant du 19e siècle : Dieu et les Maîtres d’un côté, la Liberté et l’Égalité de l’autre. Ce qui surprend immédiatement dans ce schéma de pensée, c’est de voir s’y déployer une certaine connaissance du divin. En affirmant en effet que Dieu est « un maître opposé à la liberté », l’anarchiste nous dit qu’il connaît personnellement le divin, ou du moins qu’il a reçu à Son propos un enseignement spirituel auquel il croit et qu’il ne met aucunement en doute. En somme, après nous avoir enseigné sur Dieu, il se sert de cette doctrine tel un levier pour élever finalement son propre discours sur l’anarchie. En outre, nul ne contestera qu’il a reçu cette connaissance sur Dieu auprès de l’Église. Quelle étrangeté ! L’anarchiste est ici en train de nous dire que le savoir ecclésiastique à propos du divin est digne de confiance, et que Dieu est très exactement ce qu’en disent les papes, les évêques et les pasteurs du christianisme officiel : un Maître autocrate. Cet accord d’harmonie entre deux camps parfaitement ennemis me trouble ; assurément, il y a quelque chose qui cloche, et il se peut que cet anarchisme-là et ce christianisme-là soient tous deux une supercherie.
Nous savons que le mot christianisme draine derrière lui toute une masse de gens remplis d’idées reçues et de stéréotypes sur Dieu ; des gens pour qui le divin est soit un prétexte pour envoyer son prochain en enfer, soit un escabeau pour élever la morale sur le mont Olympe de l’héroïsme. Une foule qui ne connaît en vérité rien sur Dieu et qui n’est pas même connue de Lui. Il en est pareillement de l’anarchisme. On a toujours vu s’agglutiner en son sein un tas de personnes n’ayant aucune idée de ce dont ils parlent ; des personnes qui prennent en otage un vocable qui leur échappe, mais dont ils se servent habilement pour régler leurs propres frustrations existentielles, ou encore pour justifier le fait de verser le sang de son prochain. Cette ignorance apparaît précisément lorsque le cantique anarchiste claironne ainsi son espérance : « Nous voulons voir apparaître le soleil de l’égalité. » La magie du mot « égalité » envoûtera certes le candide, tandis que celui qui questionne verra très vite que son concept même s’oppose directement à la liberté. Car lorsque sera installée l’égalité dans la communauté anarchiste, c’est elle qui deviendra alors l’Autorité. C’est ainsi que le rêve anarchiste d’être « sans-autorité » est tué dans l’œuf par les faux anarchistes qui le couvaient.
Qu’il y ait donc égalité, oui ! mais égalité de liberté. Ce qui revient à abolir l’uniformité. Ainsi la liberté nous préserve-t-elle de faire le minuscule pas du diabolique, de l’ecclésiastique et du politicien, car toujours l’égalité se métamorphose en uniformité. La liberté, c’est de la différenciation, c’est la possibilité de distance. C’est pouvoir dire : « Je suis. » Tandis que l’égalité est la longue et subtile érosion des différences jusqu’à l’uniformité ; jusqu’à finalement la mise à genoux des libertés. « Qu’on ne fasse pas passer l’égalité des droits à l’expression pour l’égalité des expressions », explique le philosophe Robert Maggiori. Oui, ton droit à t’exprimer, à parler et à exister est égal à celui de ton prochain, mais sache que son expression est peut-être supérieure à la tienne, qu’elle n'est pas obligatoirement de valeur égale à la tienne. Et en quoi l’expression de sa vie serait-elle plus haute que la mienne ? Mais voyons, quand il assume plus que toi son droit à la liberté. Dès l’instant où il se saisit plus que toi de sa liberté à être, il devient un Être supérieur. La liberté ne t’offrait-elle pas également la même audace existentielle que lui ? Il s’ensuit que si tu en es privé, c’est parce que tu t’en es privé librement. Et peut-être est-ce par crainte d’offenser l’égalité ; peut-être est-ce par crainte qu’elle accuse ta différence d’anticonformisme et d’inégalité. Ainsi t’es-tu laissé lier par une promesse d’égalité qui s’est muée en piège, annihilant petit à petit ton libre arbitre.
Cette approche punitive est dans une moindre mesure utile à l’enfant pour l’éveiller. Mais quand celui-ci devient un homme mûr, il découvre amèrement que cette mentalité des punitions ne marche plus. De même croyons-nous que la question de la conscience ne supporte aucun atermoiement. Elle doit être prise radicalement. Nous nous trompons tout simplement de porte pour percevoir l’existence. Il nous faut tuer notre conscience et entrer dans l’existence par une autre porte : celle que Dieu lui-même utilise.
Supposons toutefois que l’Être supérieur dont nous parlions soit capable de briser l’oppression dans laquelle tu te trouves, et que cet être ait compassion de toi. Il viendra dès lors à toi en te dissimulant une grande partie de sa liberté pour ne pas t’écraser sous sa gloire. Puis désirant que tu sois son égal, il te parlera afin de t’aider à embrasser sa liberté que rien ne limite. Il se peut alors que tu voies son initiative comme un danger et une pure folie, et que tu le livres pour cela à l’Autorité ; puis l’accusant d’un excès de liberté, vous en viendrez tous deux à le mettre à mort au nom de la collectivité. Car le rôle du collectif est d’encadrer la liberté ; et considérant la race au-dessus de l’individu, le tout au-dessus de l’un, il régit la liberté de telle sorte que chacun se conforme à l’autre dans un désir d’égalité absolue. Aussi ne supporte-t-il pas que de tels êtres échappent à ses cadres en affirmant à son encontre : c’est l’Un qui est supérieur au tout. Supposons enfin que cet Être supérieur ait une telle liberté qu’il en vienne à ressusciter. N’avait-il pas finalement accepté la mort librement ? Oui ! et précisément pour te montrer combien tu peux te confier en Lui. Tu vois donc, ô anarchiste, que le Christ est plus anarchiste que toi, plus irréligieux et plus adogmatique. Non pas parce que rien ne le limite, mais parce qu’il est capable de sacrifier un temps sa liberté par amour pour toi. Il est meilleur anarchiste que toi parce qu’il est meilleur amant. L’amour, c'est l’avers de la médaille dont le revers est la liberté. Quant à l’égalité, c’est ce rêve qu’un jour chaque-Un ait en lui ce trésor. Mais je te l’accorde ; c’est une folie irréalisable et nul ne peut être anarchiste à ce point, pas même Dieu. N’est-ce pas ?
Ivsan Otets
Droits d’auteur Tout texte ou extrait, commentaires y compris, publié sous une quelconque forme que ce soit devra comporter les références à l’auteur ainsi qu’au site : Ivsan Otets · www.akklesia.eu
1 — le lundi 13 août 2012, par Stéphane
L'intelligence naturelle de l'homme fera tout son possible pour subsister, ne pas périr ; c'est la raison pour laquelle elle use sournoisement de toute ses ressources pour ne pas sombrer, jusqu'à même aboutir au plus profond des mensonges dont l'homme peut se convaincre qu'il est en réalité la vérité. Il faudrait un dieu capable à coup de marteaux piqueur pour débusquer dans ce cœur et y faire ressortir ce qu'il y a de faux, d’enfoui et de convenablement caché.
2 — le lundi 13 août 2012, par ivsan
Je ne sais si dieu se charge directement de cela… il me semble que la mort suffit pour ces tâches ingrates. Lorsque tous les voiles sont ôtés, il ne reste pas même le creux d'une caverne pour se cacher et pour se cacher à soi-même la vérité. Ha… l'état de conscience, l'état de conscience : une béatitude ?La béatitude, n'est-ce pas précisément le pouvoir de se vêtir ?
3 — le mardi 14 août 2012, par Stéphane
J'allais écrire : « Si dieu n'heurte pas le cœur, et à coup de marteaux pilon, l'homme friable ne se présentera pas et lui opposera toujours un visage rustre et robuste comme se donnant l'allure de pouvoir régler tout problèmes ou oppositions rencontrés ».Et : « Cependant, Jésus n'a t-il pas repris les pharisiens de son temps, et cela ne consistait-il pas à briser leur cœur de pierre pour le remplacer par un cœur de chair ? ».
Après réflexion, je dirais plutôt que l'homme prend conscience de ce qu'il est par le processus de la mort (le péché qui est en lui), mais il peut aussi se rebeller et endurcir sa conscience jusqu'à ne plus avoir à faire à elle. Ainsi Dieu utilisera des démons si nécessaire pour détruire cette conscience dans les assises qu'elle s'est construite elle-même, et l'éveiller à sa perdition. S'il est un travail de réveil néanmoins, il concerne toujours ce que nous disons être de la révélation: c'est à dire d'une prise de conscience divine, qui elle, constitue la délivrance de l'âme ainsi encore retenu prisonnière. Mais si le travail d’éveil n'est pas enclenché, la personne ne peut-elle pas plutôt que (ne pouvant elle-même lutter directement contre la mort) se compromettre par son cœur rebelle, éloigné de Dieu et par les démons, comme Ève fut tenté par le serpent afin qu'au bout du compte celui-ci prenne une partie de son cœur ?
4 — le mardi 14 août 2012, par ivsan
Disons que, plutôt que de parler de « démons », terme allégorique, mais qui hélas a pris une valeur réaliste, je parlerai plutôt du « démoniaque », c'est-à-dire de la vérité évidente, humaine et trop humaine. Et pour résumer ta réponse, d'instinct me vient cette parole de Kierkegaard : « La croix est vide, parce qu'elle t'attend ». Or, la croix est toujours dressée par un procès dans les RÈGLES, et non par Dieu — ce n'est qu'ensuite que le divin intervient, quand il s'agit de vider le tombeau. Il n'est pas de bonne nouvelle sans qu'elle ne soit précédée d'une mauvaise. Mais ce qui compte, c'est que la bonne vient en second : elle a le dernier mot !
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