À propos des Rêves

lampadaire

Un philosophe juif russe, Jacob Gordin, cité par l'un des ses plus proches héritiers (Askénazi), a dit la chose suivante :

Au fond, le génie des prophètes,
c'est de confirmer que le Royaume de l'enfant est vrai.

Certainement, les propos des prophètes hébreux le confirment, eux qui parlaient de manière extravagante d'un Monde à venir où « le lion, comme le bœuf, se nourrira de paille » (Isaïe). L'homme de Nazareth, quant à lui, osa même décrire ce Royaume à venir comme un lieu où « rien ne vous sera impossible ! » Il confirmait ainsi les paroles d'un autre de ces prophètes de l'Absurde — Jérémie, lui qui eut l'audace d'affirmer, en pleine catastrophe, lors de l'une des plus cuisantes épreuves de son peuple, que : « rien n'est trop difficile pour Dieu ». À cette même période d'ailleurs, Jérémie osa encore affirmer que la passion de Dieu pour Israël est plus solide que les lois astronomiques établies par ce même Créateur ! (ch. 31) Paroles d'un fou direz-vous ? Cependant, presque 25 siècles après Jérémie, l'Histoire même de son peuple est une preuve plutôt solide de l'existence d'une Volonté divine pour qui « rien n'est impossible » ; et, comparativement, l'étude des lois astronomiques est finalement plutôt avare en discours, voire même presque ennuyeuse !

Mais l'homme préfère les lois astronomiques car elles lui fournissent un rêve raisonnable. Or, il semble que pour atteindre la réalité d'un Dieu inattendu, un Dieu dont la seule volonté tienne lieu de raison, un Dieu dont les faits et gestes ne sont justifiés par aucune rationalité… il faille pour cela briser nos sages rêves ! La vérité est au-delà de nos rêves et nos rêves sont bien trop frileux. Car l'enfant, pour qui le lampadaire est un arbre qu'il suffit d'arroser d'eau pour l'éclairer — cet enfant là, devenu grand, qu'a-t-il fait ? Il a fait des études. Ainsi, il a puisé du pétrole, ou encore construit une centrale nucléaire, puis, il a fabriqué des lampadaires en métal, il les éclaire ensuite avec l'énergie puisée dans la nature. Enfin, il fait payer grassement son travail… pour en vivre ! Car, voyez-vous, il lui faut bien soumettre son miracle à l'argent ! Il prétend cependant avoir fait “coïncider la réalité avec la vérité mathématique”, et accomplit ses rêves. Mais au regard de l'enfant, il a tué ses rêves.

« J'ai fait un rêve » disait l'homme de religion, le pasteur Martin Luther King. Qu'était donc son rêve ? « Un rêve profondément enraciné dans le rêve américain » disait-il ; le rêve « qu'un Noir du Mississippi ait le droit de voter et qu'un Noir à New York puisse aussi voter » rajoutait-il. Ce discours fut prononcé dans un « endroit sacré », des mots mêmes de Luther King — à Washington, sur les marches du Mémorial d'Abraham Lincoln, le président américain auquel on associe l'abolition de l'esclavage. Détail significatif — il nous montre que cet Abraham-là était le père de ce Pasteur-là, et l'inspirateur de ses rêves. Les discours d'un pasteur ne devraient-ils pas s'appuyer sur la mémoire des prophètes de l'Absurde ? Les prophètes seraient-ils trop fous pour la politique ? Certes oui… ou plutôt, la politique est le lieu où la nécessité s'impose aux hommes, alors qu'eux, les prophètes, parlent d'un lieu où l'homme commande à la nécessité.

En tout cas, le rêve de Luther King s'est amplement réalisé, car non seulement les noirs votent, mais aujourd'hui ils sont élus ! Le rêve d'un faux-pasteur, au nom d'un Père de la politique, vient donc de se réaliser. Mais c'est le rêve d'un homme qui appartient à la même catégorie que l'ingénieur, celui qui invente des lampadaires en métal et les fait fonctionner à l'aide d'une centrale nucléaire. Car Barack Obama ne fera pas mieux que continuer à bâtir les rêves réalistes de ces hommes-là : il en est un preux et fidèle successeur. Et quand bien même l'Histoire ferait rentrer le Père Obama dans le Panthéon des dieux politico-religieux, auprès de Père Lincoln, il n'aura pas réalisé l'impossible pour un tel titre, il n'aura pas dépassé les lois de l'astronomie et commandé au soleil.

Et, non seulement Luther King n'a rien de commun avec les propos des prophètes hébreux, mais il lutte contre eux, étant lui-même un faux-prophète. En effet, comme la majorité des religieux et autres scientifiques, dont le miraculeux est possible ici-bas, dans le sein de nos lois, Martin Luther King ne confirme pas « que le Royaume de l'enfant est vrai » ; au contraire, il annonce que cela est impossible. Il prétend qu'il faut nous contenter d'un rêve, où, dit-il : « les enfants ne seront pas jugés par la couleur de leur peau, mais par le contenu de leur caractère ».

Or, le propre du Monde à venir, celui dont l'homme de Nazareth ne cesse de témoigner, c'est précisément le lieu où nul n'est jugé. Et ne me demandez pas comment cela est possible, comment donc peut-on imaginer briser ainsi les Tables des lois morales, scientifiques et naturelles… ne me demandez pas une telle chose. Demandez donc à un enfant de vous expliquer pourquoi son lampadaire est issu d'une graine, et comment il commande à la pluie pour l'éclairer… il vous regarderait probablement en souriant, supposant peut-être que vous êtes un peu bête, à moins qu'il daigne vous éclairer humblement, et ainsi vous réponde, comme répondrait son Dieu : Parce que je le veux.


Ivsan Otets