Épître à Timidus
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Voici quelques réflexions suite à ton dernier mail et plus généralement à tes observations et autres interrogations évoquées au cours de nos deux ou trois derniers appels téléphoniques.

Bien que tu le saches, je préfère néanmoins préciser que mes propos n’ont nullement l’intention de créer une polémique, encore moins de te mettre mal à l’aise, et certainement pas de te faire la leçon. Aucune de ces trois dispositions ne me motive. Je désire simplement partager quelque peu mon propre parcours et mes propres raisonnements, car il me paraît évident que ta démarche intellectuelle ces dernières années semble montrer au moins deux points communs avec celle qui m’accapare depuis les années 90.

Je veux tout d’abord parler des doutes puisque ceux que tu connais sont relativement du même ordre que ceux que j’ai connus il y a de cela presque 30 ans. Doutes salutaires en vérité ! Car bien que ces doutes m’aient entraîné dans une recherche longue, difficile et douloureuse, j’ose les appeler de « divins doutes ». Ils sont mon puissant vent d’ouest. Ils m’apportent toujours l’air et la pluie. Ils me délivrent ainsi de l’étouffoir des vérités éternelles de toutes sortes où l’homme crève en plein désert, brûlé par les discours qu’il est interdit de questionner.

Et je veux parler d’autre part du « port intellectuel » d’où tu es parti puisqu’il est somme toute le même que le mien. Non seulement parce que j’ai été élevé à partir des mêmes convictions historico-politiques que les tiennes, mais parce que moi-même, devenu jeune adulte, je les trouvais plutôt justes et ne les contestais pas. En effet, ma dérive dans les problématiques de jeunesse dont tu as été témoin fut essentiellement une réaction psychologique face à la réalité et non pas une contestation intellectuelle de mes acquis éducatifs. Alors même que je m’enfonçais dans mon addiction je défendais fièrement une vision de la vie très à gauche, très humaniste et j’étais même absolument assoiffé de « justice sociale ». C’est ainsi que j’accusais toujours le riche de même que je bouffais toujours le curé et que je maudissais irrésistiblement le colonisateur. Globalement, je soupçonnais tout ce qui était à droite peu ou prou comme une sorte de pré-fascisme.

Tout cela pour dire que la conscience de « Dieu » m’est tombée sur la gueule réellement comme un deus ex machina, parce que ma soif extrémiste de justice et mon refus viscéral de cette injuste réalité m’avaient finalement entraîné aux portes de la mort.

G

Ainsi donc, je ne suis pas étonné lorsque tu dis te « méfier comme de la peste de celui ou celle qui noue des amitiés avec un facho notoire tel que Soral », sachant, dis-tu, en ce qui concerne Marion Sigaut, qu’« elle ne revendique pas ouvertement les mêmes idées. » De même, ne suis-je pas étonné lorsque tu évoques ensuite l’Histoire du nazisme et du communisme et ta « viscérale allergie » à toutes les idées proches de ces idéologies, et en particulier aux propos révisionnistes, etc. Car, je le répète, je suis parti exactement du même mouillage intellectuel que le tien et j’avais auparavant très précisément les mêmes réactions que celles-ci ! Aussi, en te parlant de Marion Sigaut[1] je m’attendais presque avec certitude à voir tes fondements idéologiques s’éveiller et à ce type de réaction de ta part pour les défendre. Par conséquent, il ne fait aucun doute que je trouve ce réflexe argumentaire plutôt « normal ».

C’est la raison pour laquelle, anticipant ce réflexe, je te parlais d’Hannah Arendt et de David Rousset dans mon précédent mail. Je t’évoquais leur ouverture intellectuelle. Tous deux furent en effet capables de lire l’Histoire et l’Actualité hors et loin des réactions fébriles qu’ils auraient peut-être pu avoir à une certaine époque de leur vie. Ils ne se contentèrent pas de mesurer l’événement qu’ils vécurent avec leurs propres idéologies rudimentaires. Leur idéologie, précisément, vit son infaillibilité se fissurer, sa droiture arithmétique se tordre, son ordre du sacré tomber à terre. Certes, leur idéologie se devait d’apprendre à mûrir, à s’affiner, à être questionnée au contact du réel, au contact de l’Existence ! Arendt fit alors scandale à propos du nazisme lors du procès Eichmann lorsqu’elle parla de « la banalité du mal », car tous voulaient voir le nazisme comme un « monstre anormal » et non comme un « être banal et poli ». Or, Eichmann était banal et poli ! Il fallait donc sortir de l’image des contes à monstres ! Hannah Arendt fut ainsi poussée à abandonner les traditionnelles fables. Elle commença alors à embrasser le problème du « mal », non pas en le définissant comme le traditionnel « scandale du mal » mais en le percevant comme étant « ce qui scandalise nos concepts du mal » – ce qui les fait exploser. Bien peu de penseurs la suivirent. La majorité en restèrent au discours officiel du Petit Prince et du Petit diable. Pareillement, David Rousset fut bien obligé de faire chuter son « humanisme de petit garçon » dont la vision le rassurait avant son expérience de la Seconde Guerre.

J’aurais pu aussi te parler de Dostoïevsky qui vécut une chose semblable, mais bien plus profonde, à savoir un véritable « réveil existentiel » – et non pas seulement un réveil « intellectuel » – lorsqu’il fut arrêté et enfermé plusieurs années dans un bagne en Sibérie. Chestov en parle admirablement d’ailleurs et on réalise alors que lui-même comprend cela parce qu’il l’a probablement vécu personnellement dans son propre parcours. Nous ne sommes plus ici en présence de philosophie ou de théologie au sens ordinaire du terme. Nous ne sommes plus avec des André Comte-Sponville, des Régis Debray ou des Alfred Kuen, lesquels sont fort capables de conduire à des conversions intellectuelles... Mais nous sommes avec des penseurs existentiels que le doute et le scandale ne laissent pas en paix de sorte qu’ils ne peuvent jamais poser un dogme ni convertir qui que ce soit. Chestov lui-même définissait cette recherche en reprenant le terme socratique : un exercice de la mort ou se préparer à mourir.

C’est toujours en suivant ce même leitmotiv de chercher l’Existence plutôt que de chercher la Vérité que j’aborde ensuite, dans le même mail, le problème de l’interprétation de l’Histoire, notamment en mettant en parallèle deux historiens, Sigaut & Guillemin, opposés politiquement mais finalement suffisamment honnêtes et professionnels dans leurs recherches pour être d’accord sur le récit d’un exemple : Voltaire. Ainsi reconnaissent-ils ensemble la perversité de ce personnage dont rend témoignage l’Histoire. C’est donc cette honnêteté professionnelle, cette forme de première maturité, de première droiture, et un certain courage intellectuel qui m’intéresse dans l’attitude qu’a eue Hannah Arendt à son époque et qu’aujourd’hui on retrouve lorsqu’on voit le sieur Voltaire être passé au crible par Marion Sigaut ou Henri Guillemin. Car il faut nécessairement élever l’Existence au-dessus des Vérités pour oser interroger ici l’Histoire ou là le Dogme du mal en politique.

Mais la comparaison s’arrête là. Je ne me leurre pas. Il n’est pas question de mettre au même niveau la remise en question de Voltaire par une Marion Sigaut et la lutte contre la Raison ou contre la Théologie de la rétribution qu’on trouve chez un Dostoïevsky ou un Chestov. C’est pourquoi je te rejoins en partie sur Marion Sigaut. Car si je puise de nombreux éléments fort intéressants dans sa pratique courageuse de l’Histoire du xviiie, ainsi que dans son travail contre la pédocriminalité, notamment aux côtés de Judith Reisman, je trouve décevante sa participation avec Soral. Je suis aussi parfaitement conscient de sa démarche catholique trop prosélyte et politique à mon goût. Je sais donc parfaitement ôter les scories de ses études pour n’en retirer que ce qui m’est utile. Ainsi ai-je toujours fait avec tous. Le monde des rabbins, des théologiens et des philosophes est assurément la meilleure des écoles pour apprendre à discriminer dans la recherche ce que le chercheur cache et veut faire passer en catimini. Dans cet « art à discriminer », je peux t’assurer qu’une Marion Sigaut, c’est du bas de gamme, de l’enfantillage, on voit ses scories à des kilomètres, sans aucun microscope... Et néanmoins, son travail d’historienne recèle de belles perles.

Quant à Soral, je te rejoins. Assurément, il manque aux Soral d’être passés par le bagne des Dostoïevsky. Et sans aucun doute, il leur manque d’avoir connu le brisement qu’a connu David Rousset, à tel point que ce dernier finit par dire que « les hommes normaux ne savent pas que tout est possible ». C’est-à-dire qu’il confessa qu’être normal est la position de celui pour qui le scandale du mal reste toujours dans une norme logique. Un être normal croit que le mal est un monstre effrayant, positionné à l’extrême et facilement reconnaissable sur l’échelle des valeurs et des vertus. Pour l’homme normal, il n’est pas possible que le Mal soit classé dans le Bien : un homme normal « sait » que cela n’est pas possible. Et si on lui montre que l’Existence de certains hommes leur a fait prendre conscience que cet impossible était possible, l’homme normal rétorquera alors qu’une telle expérience tient lieu d’un dérèglement psychique... Puisque le dogme exige que le mal soit séparé du bien !

Je considère Soral comme un révolté de pacotille. Il peut fort bien avoir « déniché » quelques scandales d’Actualité, et être ainsi en capacité de lever bannière pour d’autres qui sont assoiffés de justice comme on a soif d’un ballon de rouge... Ce ne sont que des marxistes nés dans une Europe du xxie siècle. Le scandale qu’ils disent avoir révélé n’est pas un scandale tant il est la récurrence banale de l’Histoire, et leur réveil n’est qu’un réveil intellectuel qui n’a rien de réellement propre à l’existence, à l’être-qui-veut-exister. Ils demeurent ainsi incapables de sortir de la conventionnelle lutte d’une « idéologie versus une autre idéologie ». Ce sont au fond des enfants qui défendent leur conte idéologique parce qu’ils ont soudainement pris à cœur de dénoncer les vices du conte officiel, celui des enfants gâtés victorieux qu’ils jalousent secrètement, se croyant, eux, plus capables de diriger le Monde que ces derniers : de paître les hommes.

Soit donc, étant adulte, étant capable de discriminer dans le propos ce qu’il doit à l’intelligence, à l’émotion, à l’expérience ou à l’existence, je n’ai plus peur de ces enfants. Je ne reconnais rien de sacré ni de sérieux dans leurs discours et dans leurs vérités, quand bien même je mesure la sincérité de l’un ou l’autre. Qu’ils soient côté vaincus, de type Soral, ou qu’ils soient côté vainqueurs, côté discours officiel, celui qui fait loi et qui est tenu aux masses, celui de type Laurent Joffrin par exemple, lui qui fut Young Leaders au sein de la French American Foundation, promotion 1994, comme le furent en leur temps Macron, Pécresse ou Hollande... Tous ces enfants-là ne sont pas ma préoccupation, ni pour m’en effrayer ni pour les justifier. Et lorsque je tends parfois l’oreille de leur côté, vaincus ou vainqueurs, c’est simplement pour être quelque peu informé de leurs dernières ingéniosités tant je reconnais leur talent pour défendre, bâtir et remodeler sans cesse leurs idéologies, leurs puissantes vérités par lesquelles ils dirigent la Collectivité.

Mais j’arrête là cette réflexion, car il est en vérité question de la gémellité du bien et du mal dont nous pourrions éventuellement parler de vive voix. C’est-à-dire qu’opposer des extrêmes tels que le « fascisme versus la démocratie » ou le « communisme versus la république », c’est selon moi nourrir une gémellité complice qui se dissimule sous une opposition de papier :

Il y a entente secrète de ces doubles dans laquelle les antagonistes ont besoin l’un de l’autre pour perpétuer la discorde qui les fait vivre.[2]

Le mal et le bien ont besoin l’un de l’autre tant il est vrai que la parabole de l’Arbre du bien et du mal est inspirée et inspirante. En effet, Bien et Mal s’alimentent sur le même arbre de la même sève ; ils puisent la même eau avec les mêmes racines ; ils sont le résultat de la même photosynthèse à l’aide de feuilles communes. C’est pourquoi, en termes d’actualité, en termes concrets, défendre par exemple un Joffrin tout en s’opposant à un Soral, ou inversement, c’est en réalité cultiver cet arbre. Or c’est la culture de cet arbre qui est le problème. Non pas qu’il en y ait une bonne ou une mauvaise, mais c’est par le seul fait de travailler à la culture de cet arbre des jumeaux que l’homme produit de l’horreur. Soit donc, peu importe qu’untel y travaille côté « bons fruits » ou que tel autre y travaille côté « mauvais fruits », et peu importe que la production soit pour un temps bénéfique et génératrice de paix... Puisqu’il est dans la nature authentique de l’Arbre de produire un fruit gémellaire ! Son sucre nourricier sera donc bientôt un poison meurtrier de même que son fruit vicié sera bientôt un fruit vertueux. Incontestablement, vivre en se nourrissant de ses fruits, c’est vivre dans un cauchemar, c’est être nourri d’hallucinogènes qui sans fin nous font imaginer que bientôt le mal sera vaincu. C’est pourquoi l’auteur inspiré qui nous laissa la parabole de l’Arbre du bien et du mal, qu’il fut sumérien, akkadien ou encore égyptien, ce dernier n’oublia pas de nous indiquer l’essentiel : l’Arbre de vie qui se trouve à distance.

Or voici, toute la théologie talmudique, puis à sa suite la théologie chrétienne, fonda sa « révélation » sur l’Arbre du bien et du mal, c’est-à-dire sur la Thora, sur son Temple et sur son système expiatoire, système par lequel Dieu doit prouver sa valeur boursière sur le marché de la dette royale du péché. Qui donc a appris à ces hommes à lire ainsi le texte ? Car l’Écriture annonce clairement la toxicité de cet Arbre, cet arbre de la mort. Or voici, tous les faiseurs de vérités qui cultivent avec passion cet arbre depuis des siècles confirment finalement ce qu’en dit le texte alors que leur ensorcellement est ahurissant. Aussi ne faut-il pas s’étonner de son pouvoir hallucinogène, de son magnétisme, de sa capacité à envoûter par la logique puisqu’il est aussi cette admirable Lumière de l’homo sapiens qui lui permet de s’élever au-dessus de la bête... sans jamais s’en délivrer et pour toujours y revenir !

J’évoque ici ce paradoxe parce qu’il est selon moi indispensable et crucial de dépasser cette gémellité quand on questionne Dieu, quand on le cherche. « Le chercher » s’entend précisément pour moi remettre en question ce discours officiel sur le bien et le mal que portent toutes les religions, et avec elles les philosophies et les sciences. Il s’agit donc de questionner sans aucun complexe les vieilles luttes duelles de la vérité contre le mensonge, du pur contre l’impur, du juste contre l’injuste par lesquelles on habille Dieu. La subversion spirituelle consiste de ce fait à se proclamer couturier de Dieu ou encore son maître-tailleur. C’est ainsi qu’on ne cessa jamais d’habiller les dieux avec cette armure héroïque dont on revêt aussi les saints et les sages qui se consacrent à la lutte du Bien contre le Mal. Et c’est la même subversion qui déclare juste une telle lutte et qui en légitime le sang versé. La subversion divine est somme toute le noble banquet de la science du Bien où celui-ci est prêt à toutes les atrocités pour soumettre l’Individu au dogme du Bien.

Pour moi, il me semble que Dieu, c’est l’Être. C’est l’Existant. C’est l’Individu. Et c’est nécessairement l’Au-delà de ce faux combat des gentils contre les méchants ou de la vertu contre le péché. Dès lors la réalité de ces combats est l’en-deçà de Dieu. C’est notre ici-bas. Notre lieu. Notre humanité. Une guerre d’illusions. Le monde de la Raison. Le règne de la Raison, de ses dualités, de sa logique. Tandis que l’Au-delà est le monde, non pas où la Raison est bannie, mais où simplement elle ne règne plus. C’est l’Être qui règne là-bas. Librement. C’est-à-dire arbitrairement ! C’est son Royaume. De sorte que là-bas, le bien et le mal n’existent pas en tant que système de vérités, de vérités éternelles, mais seulement de façon fantomatique, en tant que vérités de passage. Elles sont des vérités demeurant à l’ombre de l’Être. Les expressions visibles de ses vouloirs au cours de son existence. Les expressions visibles de son va-et-vient existentiel.

En effet, pour cet Être, l’être-Existant, pour l’Individu-divin en somme, rien n’est plus normal de vouloir un jour tel possible et le lendemain tel autre possible qui sera peut-être discordant et irrationnel par rapport au précédent. C’est-à-dire que ses vouloirs peuvent fort bien se définir par ce que nous appelons un impossible : marcher sur l’eau, ouvrir les yeux d’un aveugle, etc. Et ce vouloir-de-l’impossible est précisément ce que l’Individu que nous sommes a en commun avec l’Individu-divin.

Mais en quoi sommes-nous séparés alors ? Vu que l’Être-divin est capable de concrétiser l’impossible dans la réalité tandis que l’Être-humain en est incapable. Cette séparation est fort simplement le fait des Lois de la Raison.

Nous comprenons alors aisément que sous le règne de cet Individu-divin, sous le règne de ses impossibles réels et concrets, la Raison n’est plus du tout ce que nous connaissons d’elle ici-bas. Absolument pas. Dans cette autre réalité la Raison doit se rendre capable de passer du possible à l’impossible. Et cela naturellement, sans violence. Par soumission naturelle à l’arbitraire de l’être-Existant dont la volonté au jour le jour peut spontanément varier du possible à l’impossible. Le pouvoir de la Raison n’est donc plus là-bas gravé sur des tables de pierre mais il est écrit sur le sable. Il lui est toujours accordé – provisoirement ! Ses vérités éternelles n’existent plus. La Raison doit aller et venir docilement entre possibles et impossibles sans poser la question de la Valeur.

Tel sera son repos en définitive : ne plus juger ! Ainsi sera- t-elle enfin heureuse et en paix, pour autant qu’on puisse parle de paix ou de joie pour une machine. Disons plutôt qu’elle ne pourra plus produire du trouble et de la tristesse ; elle ne pourra plus faire basculer l’Individu dans l’aberration existentielle; elle ne pourra plus torturer l’humanité, comme disait Kafka, avec ses « chaînes faites en papier de ministère. » Sa capacité à devenir un monstre et monstrueuse cessera. Pourquoi ? Parce qu’elle ne se mêlera plus de définir ce que doit être la Valeur du Bien dans la vie de l’être incarné qu’est l’individu. Comment le pourrait-elle d’ailleurs ? La Raison ne sait rien de l’incarnation. Elle ne sait rien de la chair, du corps, de la libre volonté. Elle n’est que système. Elle n’est que cette force désincarnée des lois qui canalise et limite l’énergie brute de la vie. Ce rôle qu’elle a ici-bas de créer une conscience du Bien et du Mal a certainement permis à l’animal de naître à l’animal intelligent, à l’Homo sapiens. Mais elle ne peut aller au-delà de cette mission. Elle ne peut faire naître de cet homme un fils-de-l’homme, un individu-divin. C’est pourquoi dans le monde des fils-de-l’homme, la Raison est une servante heureuse débarrassée du rôle ingrat de « mettre le prix aux choses » comme disait Pascal.

Ainsi donc, la Raison sera enfin ce qu’elle doit être. Elle détruira des vérités pour en bâtir de contraires sans s’offusquer en rien des caprices de l’être-Existant qui sera seul qualifié pour définir le prix des choses. Et non seulement la Raison ne se scandalisera pas de cet état, mais elle sautera de joie et remuera la queue tel un chien ravi de faire la joie de son maître. Car elle ne s’inquiétera plus de définir ce qui est bon ou ce qui est mauvais. Elle ne régnera plus. Elle n’aura plus à gérer la liberté de l’homme. Elle ne pourra plus fermer la route du ciel aux hommes.

Par contre les-fils-de-l’homme lui fermeront l’accès au ciel. Ce lieu intime de la volonté individuelle où l’Individu-divin n’a pas à se justifier de ses vouloirs est précisément un lieu dans lequel la Raison ne peut absolument pas plonger ses regards. Elle brûlerait aussitôt si elle entrait en contact avec l’injustifié, avec la liberté, elle qui n’est que justifications continuelles et obéissances[3]. Chestov rend témoignage de cela en affirmant que la paresse et la lâcheté sont l’essence de la Raison :

La raison doit servilement reproduire ce qui lui est donné, et elle se reprocherait comme le plus grand des crimes toute tentative pour créer librement.[4]

C’est pourquoi, lorsque Kierkegaard associe l’angoisse au « vertige de la liberté », il parle en définitive de cette espèce de sentiment obscur venu de la conscience et que la Raison nous communique par cette dernière. Nous sommes en effet le terrain d’un conflit larvé. D’un côté les limites dont nous avons conscience par la Raison et d’un autre côté un infini de possibles que nous suggère la liberté par l’Esprit. Et lorsque notre liberté s’affirme contre les convictions des dogmes de la science, de la morale ou de la religion, il y a alors risque d’une crise sévère. Car il se peut que notre Raison nous inocule son angoisse, c’est-à-dire qu’elle nous communique son propre vertige, cet étourdissement qu’elle ressent face à la liberté propre que nous défendons. Parce que la liberté lui est insupportable, vertigineuse. Parce que la Raison sait que l’infini des possibles de la liberté entraîne la disparition des limites sacrées de ses lois. La disparition de son règne, au bout du compte. Pour la Raison, « liberté » est synonyme de « chaos » – c’est l’échec de sa mission ! Angoisse.

Tu auras sans doute remarqué qu’il est tout simplement question ici des deux arbres de la parabole : l’Arbre des savoirs grâce auquel nous prenons conscience du bien et du mal et l’Arbre de la vie où l’esprit nous invite à toutes les libertés. Et bien sûr, entreprendre de quitter le premier ou de le mettre en question, ce qui revient au même, cela fait assurément surgir de l’angoisse, de l’inquiétude et des doutes en nous. Tel est le risque lorsque soudain les limites franches qui séparent habituellement le bien et le mal s’estompent, lorsque les tables de la Loi se brisent. Lorsqu’il y a extinction des Lumières. Le but n’étant pas ici de reculer vers l’animalité, mais de sauter vers l’Esprit. C’est ainsi que le lieu de l’Esprit ici-bas est semblable aux ténèbres de la foi ; tandis que le saut est celui de la mort puisque notre réalité appartient à la Raison. Aussi est-il vrai de dire que :

...avant que ne passent le ciel et la terre, pas un seul iota, pas un seul trait de lettre de la loi ne passera... (mat 518)

g

J’espère ainsi me faire comprendre lorsque j’insiste sur l’indispensable et crucial dépassement du paradoxe que constitue cette gémellité du bien et du mal. Lorsque j’insiste sur l’abandon de la culture rassurante de l’arbre des dualités. Car j’estime qu’il est capital de ne plus dresser ces ring où les opposés s’affrontent. Très certainement, ces combats entre différentes conversions intellectuelles ne sont que le sempiternel réflexe de ces « hommes normaux » dont parle D. Rousset, ces hommes qui vivent plus ou moins en repos sur l’une des branches de l’arbre gigantesque et commun de la science du bien et du mal. Alors que chercher Dieu est selon moi un véritable « défi existentiel » qui suppose de quitter cette « normalité » de l’homme. Un défi qui commence justement par l’abandon des combats dans lesquels l’intelligence nous pousse. Un défi qui se refuse aussi à verser dans ces autres convictions que sont les expérimentations mystiques. Ce « défi existentiel » est celui de l’Être qui se considère plus grand que les systèmes, que la Nécessité, que la Nature. C’est sur cette balance de l’Être que la petite vie de l’Individu pèse plus lourd que le poids astronomique des lois de l’univers, des créations, et des créateurs.

À partir du moment où la recherche se fonde sur cette pierre brûlante existentialiste, et qu’elle résiste sans cesse à se fonder sur l’évidence ou la preuve expérimentale, il m’apparaît alors que les deux dispositions qui suivent doivent être appréhendées par le chercheur. Au risque sinon :

...qu’après avoir posé les fondements de sa tour, il ne puisse l’achever, et que tous ceux qui le verront ne se mettent à le railler. (luc 14)

1 · Premièrement

Rechercher Dieu entraîne nécessairement à remettre en question des « vérités sacrées », des « vérités » considérées comme des « évidences incontestables et infaillibles ». Pourtant, là n’est pas réellement la difficulté ! Je l’ai constaté à mes dépens. Fort douloureusement. En effet, quand bien même on se contraint à la sincérité et à l’honnêteté dans ses recherches, force est de constater qu’on s’interdit – imperceptiblement – d’interroger nos « vérités personnelles profondes » alors qu’on manifeste un zèle et une énergie presque surhumains pour interroger nos « vérités secondaires ou superficielles », celles qui demeurent en banlieue de notre être, ou encore celles qui appartiennent tout simplement aux autres. Et c’est par quelque manigance intelligente qu’on se persuade enfin que nous venons héroïquement de toucher aux racines de notre vie. Car on ne veut pas s’avouer cet interdit qu’on s’impose presque par réflexe, cet interdit qu’on a quasiment refoulé avec talent dans notre inconscient : l’interdit que notre recherche en vienne à soi-même et touche à nos plus intimes « évidences et infaillibilités ».

Il existe des vérités en nous qui sont de l’ordre de l’incontestable et de la toute-puissance, des vérités forgées dans l’acier le plus rigide, de sorte que ces maîtres semblent avoir tous les traits du parfait autocrate. Et plus on diffère à les confronter, plus on les fortifie. C’est ainsi que ces certitudes en viennent avec le temps à être plus résistantes que le fameux acier de Damas : rien ne semble pouvoir les défier.

Loin des ces dernières, à la surface de notre être, on se console pourtant avec sincérité en faisant le bilan de nos « repentances », de nos fiers retournements intellectuels, de ces changements de vie qui nous ont tant coûté. Mais le recul faisant, je dois l’avouer pour moi-même : c’est de la vanité. Je reconnais même que ces « repentances » sont d’autant plus vaines quand elles concernent la moralité ou la doctrine. Interroger la morale et la doctrine est un jeu d’enfant ; et au mieux, c’est un labeur d’universitaire. Or, chercher Dieu n’est pas un jeu d’enfant ni plus qu’un diplôme qu’on acquiert. Faut-il le répéter ? C’est un défi existentiel ? Pas même ! C’est une impossibilité existentielle qui cependant nous est imposée.

Et voici encore. Pour le dire autrement.
On se lance dans une croisade au cours de laquelle on interroge l’intime de Dieu. C’est-à-dire ce qu’il est. Parce qu’on désire que plus rien de sa personne ne nous soit caché. Parce qu’on exige que son mystère cesse. Parce qu’on veut que la distance avec lui soit abolie. Parce qu’on veut le voir nu ! Et sans aucun doute, Dieu répond à cette recherche. Et voici sa réponse : « Auras-tu la même ardeur pour découvrir qui tu es ? »

C’est ainsi que commence le scandale.
À la recherche de Dieu il y en a une seconde qui lui est parallèle. Une recherche-bis, indissociable de la première. Une recherche-miroir qu’on ne peut abandonner sans que la première ne soit elle aussi abolie. Et bien davantage. La recherche de Dieu est un subterfuge... de Dieu, afin que la recherche puisse à la fin entièrement porter et se concentrer sur ce que je suis ! Telle est l’audace divine par laquelle il veut me voir affirmer : Qu’importe Dieu en somme – si je n’existe pas !

G

Tu sais comme moi que le religieux dit précisément le contraire : « Si tu veux trouver Dieu, tu dois t’annuler, t’annihiler.[5] » De même que le christianisme officiel qui pour justifier le propos ira bien sûr chercher appui en puisant dans certaines paroles évangéliques du type : « si le grain ne meurt, il reste seul ; si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même... »
Le prédicateur affirmera alors que « le grain auquel il faut renoncer » est l’Ego, ce maudit « moi » à cause duquel l’unité fusionnelle ne peut se faire, ce damné « je » qui me sépare de l’Un, etc. Car il s’agit absolument de rejoindre le grand concert œcuménique et scientifique qui affirme sur tout le globe et dans toutes les galaxies que la Vérité est astronomique, et qu’à l’intérieur de ce « dieu-Un » universel, rien n’est séparé, rien n’existe personnellement : tout est toujours et partout interconnecté et dans une absolue transparence.

Si effectivement la recherche de Dieu doit aboutir à cet état fusionnel permanent ; si cette recherche signifie qu’il faille renoncer à être un Individu, avec son corps, son espace et son temps ; si « Dieu » est synonyme de non-séparation avec le Tout ; si être dans la vérité est l’obligation de vivre dans une continuelle communion où je suis sans cesse dévoilé au Tout, etc. – Que devient dès lors la question divine que j’évoquais plus haut :

Auras-tu la même ardeur pour découvrir qui tu es ?

Eh bien cette question n’existe plus.
Puisque je n’existe plus. Puisque seul l’Un existe. Car toutes les individualités ont renoncé d’Être. Toutes les particularités sont mortes et l’être-particulier, telle une graine, a été semé dans la terre de l’Un où il est devenu un morceau de l’Un, une goutte dans l’océan holistique et monstrueux de l’Absolu. L’être s’est annihilé « pour la Gloire de Dieu ». Et si on lui pose de nouveau la question de son identité, il répond : « Arrière de moi satan, car seul-Dieu-est et je n’existe qu’en lui. »

Alléluia ! N’est-ce-pas ? Puisque tout est résolu ! Le défi existentiel s’est évaporé dans la magie du Général, dans la Vérité-générale qui est la même pour tous, partout et pour toujours. Ainsi donc, ma recherche de Dieu ne m’interroge plus, en retour, quant à la délicate question de mon identité. Il n’y a plus de boomerang et le miroir est cassé. Dieu ne me demande plus « qui je suis ». Quel soulagement ! Je ne suis plus renvoyé vers cet « en-soi », vers cet « en-soi existentiel », vers cet « en-soi » qui a un nom particulier que lui seul connaît, un nom qui est unique. Cet « en-soi » qui est en vérité l’Un-dividu parce qu’il possède précisément un vouloir que lui seul connaît ; parce que sa liberté est si profonde que même l’Un le plus astronomique, même l’Infini, et même Dieu ne peuvent exiger son dévoilement sans qu’il n’y consente !

Tel est le scandale.
Il consiste en définitive à ce que seul celui qui devient l’Un-dividu fait réellement la gloire de Dieu ! Ou plus exactement la gloire de son Père. C’est-à-dire qu’il permet à son Père de crier :

J’ai réussi ! Mon fils existe ! Il a un nom qui lui est propre ; un corps dont il est, lui, la nature originelle ; un espace et un temps qui sont la trame de sa volonté car il est maître des lois ; et une liberté absolue qui là-bas est la couronne de son Royaume. Ainsi donc peut exister l’amour puisque la rencontre ne se fait, même pour moi, que dans un désir partagé.

Assurément affirmer une telle existence, c’est-à-dire une existence divine en somme, c’est effectivement renoncer à l’existence terrestre. C’est mourir en tant que fils de la Raison pour naître en tant que fils de Dieu. C’est crucifier cette existence terrestre qui obéit à un discours général de l’Unité, de la Raison et de son Tout sacralisé. C’est sacrifier cette existence terrestre pour laquelle être consiste à puiser confortablement dans une vie qui appartient à l’Un (et en échange ne pas le questionner quant à ses vérités). C’est refuser de dé-exister, de perdre son nom, son visage et sa particularité.

Tel est donc le défi existentiel où rechercher Dieu, c’est se rechercher, et où trouver Dieu, c’est se trouver. Un défi qui suppose par conséquent une seconde exigence.


2 · Deuxièmement

Cette seconde disposition d’esprit est beaucoup plus délicate parce qu’elle en appelle directement, dans le détail, au cheminement personnel de l’individu, de chaque-Un. Soit donc aux racines particulières d’un homme par lesquelles il puise et s’enracine dans le sol de la Raison, c’est-à-dire dans sa réalité ici-bas. Je parle ici de son histoire. Intimement. Les « pourquoi et les comment » il se trouve, année après année, autour de l’Arbre du bien et du mal par lequel ce monde est gouverné. Ses déterminations, son éducation, sa culture, son siècle, sa nation, sa profession, sa famille, ses choix et décisions, ses sentiments, ses contingences, etc. Et que sais-je encore. Son destin ou son karma diront certains par fatalité. Mais c’est en vérité son champ d’existence, sa terre[6] existentielle : la question de qui il est. Car le lieu, les circonstances et l’éducation qui façonnent un homme sont réellement un champ de bataille, un espace qui nécessairement veut être labouré et devenir cette « guerre » intime que j’appelle plus haut le Défi Existentiel. Que cet affrontement soit ou non accepté ou assumé, il est de toute façon imposé à tous par mère-Nature. Même à ceux qui ne croient pas en Dieu. Ainsi en est-il des géniteurs qui finalement, dès l’instant où ils mettent au monde un enfant, le promettent à la charge d’exister, le vouent au Défi d’Exister, le soumettent à la question de son identité et du sens de son existence. On ne peut y échapper à moins de verser dans la folie ou dans la robotisation de l’être.

L’homme doit cultiver l’arbre. Il doit relever la question existentielle. Et chaque jour de sa vie est une page qu’il écrit de sa réponse.
Il mettra donc la cognée à certaines racines et il en nourrira d’autres. Il choisira ses idéologies, ses lieux-communs, ses dogmes, sa propagande. Il en brûlera aussi beaucoup. Il en taillera aussi d’autres, selon ses besoins. Puis toutes ses vérités, réelles, fictives, collectives, pensées ou non, ou encore fantomatiques, dont il s’abreuve, vont alors petit à petit s’instiller dans tout son être, imbiber sa chair, circuler dans son sang – être son Être. C’est ainsi que le fond intime et fondamental propre à chaque-Un, du primaire jusqu’au plus subtil, est à l’image des vérités, des lumières, des dieux auxquels tel individu a confié sa vie. Dieu n’a donc pas créé l’homme à son image, mais ce sont les hommes qui choisissent tel ou tel dieu-Vérité afin qu’il leur transmette leur visage.

Je te parle donc ici de notre visage personnel, de ce qui touche à ce que certains appelleront la psychologie profonde avec ses multiples notions de conscient, inconscient et subconscient. Notre tout qui, partant de la clarté de « notre existence » publique, va jusqu’au secret, au caché, au voilé et à toutes nos structures souterraines, mais plus particulièrement tout ce qui, soit sincèrement soit par lâcheté, nous a aussi hélas entraînés à « désexister » pour laisser la place à une certaine pseudo-vérité dont la remise en question risquerait de provoquer en nous une crise. Voire même de nous faire vivre une véritable dissonance cognitive ! Tu l’auras compris. Je ne parle pas de narcissisme ou d’exercices plus ou moins mystiques ou morbides, mais bien d’une certaine logique qu’on peut aisément résumer par le mot :

Ôte d’abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l’œil de ton frère. (mat 75)

C’est-à-dire que plus nous cherchons profondément le vrai du faux de la réalité extérieure (les pailles de la réalité), plus nous est découvert le vrai du faux de notre réalité intérieure (les poutres dans nos certitudes). Or, s’il est extrêmement douloureux de constater qu’on a une poutre dans l’œil, il l’est encore plus de l’ôter.

J’ai continuellement été confronté à cela pour moi-même.
J’ai continuellement dû pratiquer ce genre de chirurgie « christique ». Sans répit aucun. Sans jamais pouvoir reposer ma tête dans une quelconque tanière (et je ne théâtralise pas). Et encore aujourd’hui. Car j’ai sans cesse été invité, pour ne pas dire « obligé », à me saisir du boomerang que Dieu me renvoyait. Il le fallait bien. Il me fallait bien accepter de creuser ma terre, mon adama, de mettre à nu mes racines, de découvrir mes propres chaînes, de questionner telle vérité générale, telle évidence qui peut-être me liait, me trompait, m’abusait à penser la vie et le divin au travers de son prisme. Et si je refusais ? Je savais alors que Dieu me refuserait, en retour, d’arracher les racines de telle dogmatique, religieuse ou autre, qu’une multitude de croyants à travers les siècles avaient mis sur sa Personne. De sorte que ce refus divin me condamnait à le concevoir, au mieux caché, au pire subverti, et bien souvent les deux en même temps. Je ne le pouvais.

Mais y aurait-il donc une espèce de malice côté divin ?
Non. Tout au contraire. Dieu répond ici à notre recherche de sens, à notre quête des commencements et des fins de façon absolument « naturelle ». Ainsi les parents sont supposés faire de même avec leurs enfants, tout comme les éducateurs avec ceux qu’ils enseignent :

Tu veux voir mon visage ? Accepte de voir le tien. Sinon la chose est impossible. Tu veux connaître l’histoire de l’homme, les racines de l’être ? Accepte de connaître ton histoire et qui tu es, sinon cela est impossible.

C’est le simple et logique processus du « connais-toi toi-même » delphique, c’est-à-dire que c’est l’école primaire de la philosophie où l’on astreint le chercheur débutant à d’abord apprendre à se mesurer soi-même s’il veut mesurer plus grand.

Tout le monde trouve en effet naturel que l’enfant ne découvre pas le visage de son père tandis qu’il l’idéalise « aveuglément » ; de même qu’on ne lui dévoile pas l’histoire réelle mais celle des pères Noël. Car il serait dangereux de le laisser voir ses géniteurs tels qu’ils sont, avec leurs défauts (pour ne pas dire plus) ; et on risquerait de le traumatiser si on lui montrait les géhennes de l’histoire. Ce n’est qu’adulte, lorsqu’il a conscience de qui il est, lorsqu’il a pris la mesure de son existence particulière qu’il peut alors voir son père et le monde en dehors des idéalisations de son enfance.

Le schéma spirituel est identique.
Il faut être adulte, spirituellement parlant, pour se débarrasser de l’« idéal de Dieu » que les mondes religieux bâtissent. Et plus encore. Puisqu’il est question ici de l’exigence de devenir un « adulte inspiré » – in-spiritus ; le propre de l’Esprit étant précisément de réussir à tuer les dieux idéalisés sans tuer le divin ! Il est certes possible de refuser cette exigence, auquel cas nous sommes confrontés automatiquement aux deux choix restant : la tentation de rester dans l’enfance, de se blottir dans le religieux ou le mysticisme, ou bien la tentation de tuer le divin, d’entrer dans l’athéisme. Hélas, aucune de ces deux solutions ne résout la question mais toutes deux la laissent en suspens : soit dans la cabane de l’infantilisme, soit dans la cave de la lâcheté.

Tel est le problème de la maturité spirituelle. Immense, titanesque. Idéaliser le divin et idéaliser la vérité se confondent ! En effet, cela ne me pose aucun problème, étant enfant, d’associer tous mes « 2+2 = 4 »[7] avec le divin. Il me suffit d’aller sur la montagne enchanteresse d’un Sinaï ou sur l’Acropole de la cité idéale. Là-bas, Dieu et la Torah font Un ; Dieu et le Vrai, le Bien, le Beau font Un. C’est-à-dire que Dieu vit alors paisiblement en mon cœur là même où s’enracine mon Arbre des sciences, où mes équations démontrées par le réel sont produites en lettres d’or : l’amour du prochain, la modération, le travail, le collectif, la justice, etc.

Puis viennent les brisements.
Mes « 2+2=4 » bien huilés se grippent. Ils sont contestés par une réalité qui s’est étonnamment transformée en « enfer » et qui semble obéir à d’autres Lois. De sorte que je ne parviens plus à associer ces nouvelles lois de l’injustice et des malheurs avec Dieu – sinon en faisant de Dieu un monstre ! L’enchantement de l’enfance est fini. Un monde s’écroule. Il me faut quitter l’isolement des Sinaï et la protection des Olympes. C’est le moment kierkegaardien des « ou bien ou bien ».

Ou bien Dieu n’existe pas, et il n’appartient qu’à une enfance de l’être, lorsque la vie est sœur du rêve, à une époque où les lumières de la science sont encore étrangères à l’individu.
Ou bien ce sont les « 2+2=4 » parfaitement réels et démontrables, édictés par l’Arbre de ma raison, qui me trompent, qui me plongent dans une humanité aveugle aux rêves et dont l’imagination est avide d’une perfection conçue comme une vie-mathématique.

Bref, cette disposition d’esprit est ce que Chestov appelait « la lutte contres les évidences ».
Cette lutte est initiée par les événements lorsque ceux-ci, ainsi que je viens de le dire, par leurs coups de butoir, m’ont poussé à questionner Dieu. Et puisqu’il me fallait des réponses, il me fallait aller plus loin. J’ai donc crié à l’aide. Mais ce sont d’abord les morts qui ont répondu, avec leurs livres. Quant aux vivants. Il faut le dire : je n’en ai pas trouvé cinq. Pourquoi ? Parce que la bonne volonté ou l’amour ne suffisent pas lorsqu’on est celui qui arrache les racines adamiques de l’être. Aux yeux du croyant, l’acte est diabolique ; et aux yeux de l’incroyant, cela est classé comme désordre mental. Deux expressions synonymes pour recenser les extrêmes qui ont l’audace de sortir du pâturage modéré des « hommes normaux ». Assurément, contester les sources raisonnables, les dogmes culturels et historiques, les théories sociales et politiques, la bonté et la justice de Dieu, et en général tous ces « 2+2=4 » dont on est persuadé qu’ils sont un puits divin grâce auquel on produit son fruit spirituel, c’est en définitive plus qu’une contestation. C’est un crime de lèse-majesté.
On se retrouve alors bien seul et même souvent à fuir ceux qui aimeraient nous mettre sur la roue du supplicié comme cela fut pratiqué sur les régicides.

C’est ainsi que la question lancinante vient en boucle hanter le chercheur isolé :

Comment après un tel crime vas-tu parvenir à te justifier d’être « en-Dieu » ? Et comment vas-tu faire puisque désormais Dieu marche sur l’eau, puisqu’il ne connaît plus nos lois de la pesanteur, nos saintes tables des lois du bien et du mal, alors que tu dois – toi – concrètement les subir ici-bas ? Et comment vas-tu concilier ce Dieu qui ne connaît plus l’Histoire tandis que tu es encore pris dans sa trame ? Ton Dieu ne t’a-t-il pas livré à l’injustice et au chaos ? Quand accepteras-tu enfin que tu n’as plus rien à gagner à le chercher ?

Tu comprends dès lors que je ne peux comparer ce processus à une simple remise en question ou à un virage moral, ni même à ces prises de conscience plus ou moins douloureuses et honorables que tout homme connaît au cours de sa vie et qu’on peut religieusement appeler « conversion intellectuelle »[8]. Ce serait un euphémisme. Il est plus exact de parler d’une crucifixion réelle tournée vers une résurrection qui appartient à un autre réel. C’est pourquoi si Dieu même intervenait de mon vivant pour me soutenir dans cette lutte il ne m’éviterait pas le tourment et l’affliction. On ne lutte pas contre les anges sans avoir les os brisés. On n’offense pas les Lumières sans connaître l’obscurité. On ne brûle pas les poutres qui soutiennent notre âme dans ce monde sans se noyer ou chuter dans le vide. Et quiconque arrachera l’Arbre du gouvernement terrestre de son territoire personnel connaîtra la désolation. N’est-ce pas en effet grâce aux vertus de ses « 2+2 = 4 » qu’un homme s’assure de connaître la sécurité en ce monde ?

Tel est donc l’écartèlement que risque quiconque cesse définitivement de confondre Dieu avec ces vérités terrestres prétendument éternelles cueillies sur l’Arbre des sages. Car son Dieu qui est toujours à-venir ne viendra jamais ici-bas pour dresser son Arbre de vie au centre du monde. Cet arbre-là ne pousse que dans l’Être intérieur – en tuant l’homme ! C’est donc à l’homme de le rejoindre. Or, il ne le rejoindra pas suite à un processus légal et logique, mais par un saut existentiel : par une transformation de l’être qui n’existe pas ici-bas, que les vérités ici-bas ne conçoivent même pas ! Voici, la raison ne peut offrir que ce qu’elle croit avoir : l’éternité. Tandis que la Résurrection est, elle : La naissance des dieux.


Mais. En contrepartie

Quel confort de discernement il s’ensuit ! Et j’oserais presque dire : quelle liberté ! Le pouvoir de discriminer.

Si « rechercher Dieu » veut dire vivre sa foi hors de l’ecclésia, de ses dogmes et de ses directeurs de conscience, il était inutile de passer par tant de difficultés. Une telle « sortie » est à la portée de n’importe qui. J’ai ainsi rencontré suffisamment de chrétiens « hors de l’église » qui sont toujours virtuellement « dans l’église ». Comment ? Eh bien ils ont juste « quitté papa-maman » par confort puis ils ont recréé une cellule identique, une espèce de mini-ecclésia personnelle. Ils produisent une critique ecclésiastique de surface alors qu’ils sont en vérité l’église de demain. Ils sont seulement frustrés par le manque d’évolution ecclésiastique et veulent une Église plus adaptée au monde. C’est très banal comme état d’esprit. C’est l’Esprit religieux par excellence ! Cet esprit qui se sait condamné s’il ne s’adapte pas aux réalités actuelles.

La fournaise dont je viens de parler et suite à laquelle j’affirme mon pouvoir de discriminer est tout autre chose que cette fausse autonomie et cette spiritualité du syncrétisme. Saint Augustin évoque cela fort intelligemment lorsqu’il fait référence au passage bien connu expliquant que chaque arbre se reconnaît à son fruit : « Cueille-t-on des raisins sur les épines et des figues sur les chardons ? » (mat 716). En effet, il fait remarquer que bien que les scribes et les pharisiens sont ainsi comparés aux épines et aux chardons, on nous dit ailleurs :

Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. (mat 233)

Il conclut donc ainsi :

...n’est-ce pas cueillir le raisin sur des épines et la figue sur des chardons[9] ? Quelquefois aussi on voit des branches de vigne s’entrelacer dans une haie d’épines et des grappes suspendues au buisson. Laisseras-tu ce raisin parce que tu le vois au milieu des épines ?[10]

Soyons plus direct. Cueillir du raisin sur des épines ou des figues sur des chardons est synonyme de trouver des perles dans la merde. D’ailleurs, le diamant est de la matière décomposée et l’or se trouve en tamisant la boue. Il s’agit donc, dans notre recherche akklésiastique (moi & Dianitsa), de reconnaître la valeur de la loi validée par la raison mais de refuser les fins vers lesquelles elle conduit l’homme. Certes, la Raison est « la vérité » parce qu’on ne peut abolir ici-bas la moindre virgule de ses lois ; mais cette vérité n’existe pas pour Dieu ! Parce que l’être-accompli est pour lui sans-vérité. Ou plus exactement, l’être-accompli est celui qui dit : « Je suis la vérité. »

Dès lors, qu’est-ce que l’impossibilité de discriminer ? C’est précisément de ne pas pouvoir conjuguer ensemble ces deux vérités. L’homme normal ne peut accepter qu’on puisse trouver des trésors en enfer et des malheurs au paradis.

Je me souviens avoir ramassé les pamplemousses dans un kibboutz à l’âge de 20 ans, non loin du lac de Tibériade. Il existe certainement plusieurs espèces de pamplemoussier, je ne sais, mais ceux sur lesquels je travaillais étaient atroces. Un très petit arbre, très large, très dense, avec des branches retombant en cercle sur le sol qui en est tapissé. Le cueilleur doit donc se glisser dedans, à genoux, se contorsionner tandis que d’énormes épines l’agressent de partout. Et bien sûr, le seau est rempli en un rien de temps ! Aussi faut-il sans cesse aller et venir dans cette forêt d’épines au milieu desquelles se trouvent pourtant de superbes fruits.

Le pouvoir de discriminer est celui de cueillir des fruits sur des arbres toxiques sans jamais être blessé et sans que l’arbre même ait rien remarqué du pillage qu’il subit. Je n’ai donc aucune difficulté à récupérer de la matière chez une Marion Sigaut. En outre, j’ai lu des philosophes remarquables mais vicieux, des penseurs lumineux mais cachant des intentions purulentes, des théologiens sincères mais envoûtés, des rabbins très subtils mais couvant une haine profonde pour le christianisme, etc. Et à partir du moment où j’ai appris à être akklésiastique, je les ai tous pillés sans supporter le moindre bleu ou une quelconque constipation.
Néanmoins, je t’assure que les plus manipulateurs sont les historiens. C’est une engeance chez laquelle je puise avec une double vigilance. Car l’historien inspiré est rare tandis que l’Histoire est toujours inspirée dans son rapport direct avec l’individu. Je n’avancerai pas mes arguments car il me paraît être le temps de conclure, aussi vais-je simplement finir en considérant l’historien dont tu me parles.

Johann Chapoutot va et vient depuis 2006 en répétant sa thèse de doctorat : Le National-socialisme et l’Antiquité. Le livre que tu évoques, « Le Grand Récit », est encore sa thèse pour la énième fois reformulée. Visiblement cet homme a fait des études d’Histoire pour prêcher sa doctrine politique, celle qu’il a cachée dès le départ dans sa thèse.

Sa conviction est que le nazisme s’origine, dès l’Antiquité, dans la culture de l’Occident. C’est un mélenchoniste assez radical. Pour ne pas dire plus. Car si son savoir le rend bien sûr prétentieux, c’est la foi qu’il manifeste en son dogme que j’ai trouvé inquiétante. Le personnage est un fondamentaliste qui se croit missionné pour répandre son idéologie. Il est persuadé que sa trame est parfaite, historiquement, socialement et philosophiquement parlant.

Trois historiens l’ont d’ailleurs démasqué.
Tal Bruttmann, Frédéric Sallée et Christophe Tarricone, spécialistes du nazisme et de la shoah. Je te mets le lien de leur propos en note. Ils réagissent à l’entrevue accordée le 11 décembre 2017 par Johann Chapoutot à un média en ligne de la France Insoumise[11]. Le site où se trouve leur critique est le Times of Israël basé à Jérusalem, qui traite l’actualité d’Israël, du Moyen-Orient et du monde juif, créé en 2012 par le journaliste David Horovitz.

Chapoutot affirme subtilement, entre les lignes de ses études historiques, que le Troisième Reich a puisé ses thèses – eugénisme, racisme, antisémitisme, darwinisme social, militarisme – dans le « grand capital » et les sociétés européennes et américaines. Il faut donc en finir avec l’homme blanc, le christianisme et le capitalisme, puisque « le Reich a succédé à Athènes et à Rome[12] ». Sa construction est en outre assez bien faite et plaisante dans sa présentation. Il pioche bien sûr dans l’Histoire, mais aussi pêle-mêle un peu partout : littérature, philosophie, théologie, etc. Enfin il bâtit une critique sociologique du complotisme, du déclinisme et des nouvelles croyances pour dissimuler que sa vérité est elle aussi fondée sur ces mêmes 3 colonnes :

1 · L’Occident est un complot nazi fomenté entre Athènes et Rome.
2 · C’était mieux avant cette hégémonie du « capital de la race blanche ».
3 · Il faut fonder une nouvelle croyance sur l’universalisme et l’abolition du religieux.

Bref, voici un bon élève du discours officiel, de la modernité et de cet avenir en or qui vient. C’est pourquoi les médias, qui scandent le même discours dans leur grande majorité, lui font avec joie une énorme publicité. Peut-on parler d’un historien ? Oui, assurément. Cependant, il fait partie des pires pamplemoussiers puisqu’il est difficile d’extraire de son Histoire quelques fruits succulents tant ils sont pris en otage par sa croyance empoisonnée.

G

Faut-il redire cette vérité : le vainqueur est celui qui impose son Histoire. Et Johann Chapoutot fait partie des vainqueurs puisqu’il chante le slogan de la doctrine officielle :

Les civilisations se racontent pour exorciser leur finitude.

Selon cette « courageuse » doctrine il est interdit de croire en une vie au-delà ! Car la finitude sera le nouveau credo tandis que chercher Dieu et « imaginer » une non-finitude seront passibles du bûcher. Et si je parle de « credo » à l’égard de ces savants de la finitude, c’est fort justement parce qu’ils sont eux aussi dans la construction d’un « Grand Récit » qui chasse le démon « Dieu » et qui exorcise la-mort-non-résolue. De fait, les preuves de leur vérité sont absolument inexistantes. Mais eux aussi se persuadent pourtant du contraire, eux aussi exigent qu’on croie avec eux, et eux aussi tombent dans la supercherie en dérobant les clefs de la Connaissance et de l’Histoire, et en espérant que la puissance de leur logos grave pour l’éternité leurs convictions sur une pierre tombale.

Quant à moi, voici ce que j’ai appris de Dieu. C’est que les dieux, c’est-à-dire les Fils de l’homme, n’ont pas d’Histoire ! Ils font et défont l’oubli à leur guise, parce qu’ils haïssent l’Histoire, parce qu’ils savent que lorsque l’Histoire est gravée pour l’éternité, c’est l’enfer qui commence. Le paradis, c’est lorsqu’il n’y a que des histoires-Undividuelles qui s’appartiennent entièrement à elles-mêmes et qui peuvent, sans peine aucune, effacer certaines pages ou lignes de leur vie et, s’ils le désirent, les réécrire.


Ivsan Otets


[1]  Suite à ton vif intérêt pour Voltaire, tu te souviens que je t’avais invité à voir ce qu’en dit cette historienne, très à droite, et d’autre part ce qu’en dit un autre historien, lui situé à gauche : Henri Guillemin.
[2]  René Girard, Celui par qui le scandale arrive, entretiens avec Maria Stella Barberi, Hachette Pluriel 2006, pp. 56-57.
[3]  Il est important de saisir que dans la symbolique biblique la Raison est incarnée par le phénomène angélique. Un ange, c’est de la Raison, de l’obéissance absolue et de l’absence de liberté. C’est ainsi qu’Isaïe décrit l’ange en train de « se couvrir la face avec deux ailes » (6). Cela vient d’ailleurs encore de la tradition assyrienne. Peu importe. L’intérêt est ici de noter que la tradition archaïque témoigne que l’exécutant (l’ange) ne peut voir la source divine : la liberté de la volonté. L’ange ne peut connaître ce qu’il n’a pas.
[4]  Chestov, Athènes et Jérusalem, Ignava ratio.
[5]  À noter ici que le mot « nirvana » a précisément comme sens étymologique et théologique la cessation du souffle et une extinction totale de l’individualité. L’argumentaire religieux retourne bien sûr cela en parlant de libération par laquelle l’être individuel retourne à l’Un et redevient membre du Tout. L’hindouisme étant la Mère des religions, il s’ensuit que cet argument est précisément celui avancé par toutes les religions : Je m’annule pour Dieu. Et c’est pareillement l’argument politique par lequel l’homme se définit d’abord comme un membre du collectif dans lequel l’intérêt commun est au-dessus de l’intérêt particulier. Et c’est en définitive le mantra et la colonne vertébrale de la Raison : « Un être humain est une partie d’un tout que nous appelons Univers. » (Einstein)
[6]  Je fais référence ici au vocable hébraïque adama qui signifie la « terre », ou la « glèbe », et d’où a été tiré le nom générique « Adam », c’est-à-dire l’Humain ou l’Humanité : « Dieu forma l’adam (l’humain) de la poussière de l’adama (la terre)... » (Gen27)
[7]  J’entends par les « 2+2 = 4 » tout ce qui fonde mon existence intime et dont je viens de parler. Les convictions et/ou croyances du « moi », de la « psyché », de l’« âme ». Ces vérités qui m’articulent et que je cultive dans mon adama. Tout ce que je désigne comme vrai et juste dans ce monde logique gouverné par la Raison et qui façonne mon véritable visage.
[8]  Les concepts de « repentance » et de « conversion » chrétiennes renvoient au terme grec bien connu de métanoïa : changer (méta) de pensée (noûs). La mythologie grecque utilisait un terme de même sens : metameleia. Metameleia, le repentir, était fille d’Epiméthée, celui qui réfléchit après, celui qui agit sans réfléchir. La société grecque valorisait le repentir de l’« homme épiméthéen », pour reprendre l’expression d’Ivan Illich (Une société sans école, ch. 7). Soit donc, l’Église fait bien en reprenant ce flambeau grec qui consiste à améliorer l’homme, mais je doute que le Christ parlait de cette disposition prisée par les Grecs ainsi que par les Romains, et maladroitement reformulée ensuite par la Torah des rabbins. Le Christ ne voulait pas produire ces conversions intellectuelles pourtant si utiles à la société. L’outil existait déjà. Il venait pour briser l’être, pour lui imposer un défi impossible, un défi qui vient après celui de la Raison, celui du logos avec ses lois. Un défi que seul Dieu peut relever. Ce qu’il fit !
[9]  C’est moi qui souligne.
[10]Sermon sur Matthieu 13,52 : Quel est le vrai docteur de la Loi.
[11]  https://frblogs.timesofisrael.com/trois-historiens-reagissent-a-larticle-de- johann-chapoutot-les-nazis-nont-rien-invente-ils-ont-puise-dans-la-culture-dominante-de-loccident-liberal/
[12]  Dans la présentation de son livre : Le nazisme et l’Antiquité.