Constantin Simonov
1915-1979 — Écrivain russe

Simonov

Le célèbre poème de Simonov qui suit évoque un soldat durant la Seconde Guerre. Celui-ci s’adresse à sa fiancée et l’exhorte à attendre son retour du front, là où il se trouve — il l’exhorte à attendre envers et contre tout et tous.

Mais, permettons-nous de réinventer les personnages. Imaginons que ce poème ne soit pas l’œuvre d’un soldat parti en guerre et qui encourage sa fiancée dans une lettre. Imaginons que ce poème vienne d’un Ailleurs, et qu’il soit l’œuvre d’un Être ailleurs. Un Être qui parle, non d’un front de guerre où il se trouverait, mais d’un autre lieu bien plus extraordinaire. Un endroit qu’il atteignit en traversant, non une guerre, mais en supportant une offensive bien plus tragique — une offensive qu’aucun homme n’a jamais pu supporter.

Puis, imaginons que cet Être parle à l’Individu ! À l’Individu qui attend, et qui dans son attente, cherche une réponse… Peut-être moi, peut-être vous !

Que signifierait alors le : « Attends quand se découragent ceux qui avec toi attendent » ? Et que voudrait dire : « Ils ne pourront comprendre, ceux qui n’ont pas attendu […] Comment j’ai survécu, nous ne le saurons que toi et moi… » ?

G

ATTENDS-MOI
Attends-moi et je reviendrai
mais attends-moi de toutes tes forces.
Attends quand les pluies jaunes apportent la tristesse,
attends quand les neiges tournoient,
attends sous la canicule, attends quand les autres n’attendent plus,
oubliant le passé.
Attends, quand des endroits lointains
les lettres n’arrivent plus.
Attends quand se découragent
ceux qui avec toi attendent.

Attends-moi et je reviendrai.
N’écoute pas tous ceux qui savent par cœur
qu’il est temps d’oublier.
Même si ma mère et mon fils se persuadent
que je ne suis plus,
même si les amis cessent d’attendre et,
assis autour du feu,
boivent le vin amer
à ma mémoire,
attends, et avec eux
ne t’empresse pas de boire.

Attends-moi et je reviendrai
en dépit de toutes les morts.
Celui qui ne m’a pas attendu
pourra toujours dire que j’ai eu de la chance.
Ils ne pourront comprendre, ceux qui n’ont pas attendu,
comment, au milieu du feu,
par ton attente,
tu m’as sauvé.
Comment j’ai survécu,
nous ne le saurons que toi et moi :
simplement tu auras su attendre
comme personne d’autre.