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Les voleurs de Dieu
Luc 8 41-48

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Les causeries akklésiastiques
Ivsan et  Dianitsa Otets
EXTRAIT - 02:12
durée totale : 1h05
Fiches élaborées par Dianitsa
On a coutume de dire que le Christ invite tous les hommes à Le suivre. Or, nous lisons dans les Évangiles de nombreuses scènes de rencontre où Il retient son invitation et même, dans certains cas, nous voyons le Christ refuser à un individu de Le suivre, alors même que celui-ci le désire. Le Christ est encore allé jusqu’à interdire de parler de Lui et de ce qu’Il venait de faire, par exemple à l’occasion de la guérison d’un lépreux en Matthieu 84 (et Marc 144, Luc 514).

Sommes-nous tous égaux devant Dieu ? Que signifie la notion d’égalité aux yeux de Dieu quand on voit le Christ discriminer entre les individus qu’Il rencontre ? Pourquoi dit-Il à l’un « Toi, suis-moi » et à l’autre « Retourne parmi les tiens » ?

Ne serait-ce pas, justement, parce qu’Il le rencontre ?
  • Pourquoi le Christ s’est-il arrêté lorsque la femme à la perte de sang l’a touché ?
  • Voir Dieu comme une source d’énergie anonyme et disponible à l’infini, et non comme une personne.
  • Dire que l’on a « une relation personnelle avec le Christ », quelles implications ?
  • Avoir vécu une expérience avec Dieu ne constitue pas nécessairement un « ordre de mission ».
  • Croiser le Christ - Le suivre - Être envoyé : quelle différence ?
  • Le Christ ne propose pas à tous de Le suivre.
Durée : 1 heure 05
Date : 28 janvier 2017
Mots-clefs : Rencontres avec Christ ; Gadara ; Bartimée ; Jeune homme riche ; Suivre Christ ; Être envoyé ; Se servir de Dieu ; Chercher à connaître Dieu
Références auteurs : Benjamin Fondane ; Marina Tsvetaïeva
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Vers un christianisme sans église

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Commentaires
1. Le dimanche 29 janvier 2017, 13:24 par Thamis

Décidément, jamais déçu par vos œuvres, de nouveau bravo à tout deux.

Une question me viens à l'esprit, il est un adage qui dit que « l'enfer est pavé de bonnes intention », hormis les hypocrites notoires, ma question est peut être naïve mais la sincérité dans la démarche de certain « voleurs de Dieu » telles que vous les décrivez dans cette causerie, ne semble pas forcement induire une volonté « dolosive » de leur part, de fait le terme voleur n,'est t'il pas un peu outrancier concernant plutôt des « égarés » ?.

A ce titre, convaincu de sa bonne foi, un égaré est rarement réceptif à l’autorité des arguments (les sectaires de tout poil).

De fait il semble difficile de ne pas user d'arguments d'autorité avec ces personnes convaincues de leur bonne foi (et de leur bon droit).

Mais dans la réflexion Akklésiastique l’argument d'autorité ne semblent pas avoir droit de cité non ?.

Après j'ai une seconde question, si le voleur sait en principe ce qu'il fait, un égaré aura t'il connaissance de son ou de ses « erreurs » de jugement quand à sa position en Christ puisqu'il est bassiné à longueur de sermon/conversations qu'il ne doit pas douter de son « appel » et qu'il doit s’attendre à de « l'opposition ».

De fait dans son esprit, toute remise en question par l’autorité d'arguments sera perçue comme un obstacle, de fait une « inspiration diabolique » soit une tentation qui le confortera dans son égarement (comme les puritains fin 16° siècle) non ?.

En somme, l'on apprend plus ou moins au sectaire que « réfléchir c'est désobéir », ardu de remettre sur les rails ce genre de personne, d’ailleurs même en psychiatrie il semble que le déconditionnement des sectaires n'ai pas encore trouvé de méthode adaptée à part des solutions coercitives du genre Guantanamo.

Je sait bien que la « novlangue » et le glissement sémantique à de quoi surprendre mais la liberté ne risque telle pas d’être perçue également comme un « nouveau » conditionnement ?.

Bref, encore (et toujours) des questions et....Merci :-)

2. Le dimanche 29 janvier 2017, 22:57 par Ivsan Otets

salutation Thamis,

Si tu préfères les appeler des « égarés », tu en as bien sûr parfaitement le droit. Tu t’appuies pour cela sur un argument typiquement venu du Droit : une volonté dolosive. D’ailleurs c’est chez toi un réflexe et une habitude d’user d’un langage assez administratif.

Pour ce qui me concerne, j’en reste à l’expression « voleur de Dieu ».

Très certainement, à regarder la vie de Tomás de Torquemada, l’homme était sincère, intègre, courageux, et son intention était de défendre la droiture de la doctrine chrétienne de son époque. Il n’en reste pas moins qu’il fut le Grand inquisiteur et que, s’il eût pu rencontrer le Christ, celui-ci n’aurait certainement pas fait de chichi et lui aurai assené un « non » sévère. Je prends un exemple extrême ? Oui. Parce que les petits Torquemada en devenir, encore cachés, sont faits de la même matière. Leur manque de réussite est la chose seule qui les différencie du Grand inquisiteur, car la terre dont ils sont faits est la même.

Les immenses dégâts de l’Église en 20 siècles ont assurément besoin d’être mis en face des bienfaits dont elle est à l’origine. De même en est-il pour la politique. Son travail, globalement, dans l’histoire dit du Progrès, assure un certain ordre. Elle civilise le Monde et elle a ses héros. Combien de ces héros, pourtant, ont été de sacrés salopards (George Washington possédait des esclaves, par exemple…). Et combien de ces civilisateurs n’ont-ils pas profité de leur statut d’autorité pour faire les pires crasses, ou encore, pour s’assurer une place au soleil, pour eux, et pour leurs proches, prenant à pleines mains dans les caisses de l’État, par exemple, après avoir voté pour une Loi civilisatrice dont l’Histoire se souviendra élogieusement. Napoléon avait raison lorsqu’il disait : « Je suis l'instrument du destin, celui-ci se servira de moi, aussi longtemps que j'accomplirai ses desseins, puis il me brisera comme du verre. »

Des hommes sincères, et dont la volonté n’était pas dolosive, dont la main droite est blanche de vertu et la gauche rouge de sang, il y en a une myriade. Le problème n’est pas un problème de Droit ou d’administration de la psyché, comme si l’âme était à regarder — administrativement !

Le problème est un problème existentiel. De qui est-il l’instrument, par qui est-il manipulé ? Manipulé. Oui, encore et toujours. L’homme de Dieu, je parle du véritable, lui aussi est manipulé, contre son gré, par Dieu. On ne Le choisit pas, on est choisi. La question n’est qu’existentielle : par qui est-il manipulé ? Puisque, de toute façon, il faut l’accepter. La liberté est un leurre. Nous sommes manipulés. Soit pour accroire que nous sommes libres, précisément ; soit pour réaliser que nous ne le sommes pas, que la chose est impossible, que jamais nous n’aurons de prise sur le réel, que la seule liberté que nous avons est au fond celle de choisir le sel ou le poivre, ou les deux.

Mon désir est d’inquiéter, non de convaincre, ou, comme dirait Chestov ; « Toute recherche commence par l'inquiétude et finit par le déséquilibre. » Je crois que le Christ ne s’écoute, dans son intimité réelle, qu’à l’étalon d’une philosophie existentielle. Or, qu’est-ce qu’une pensée existentielle. Attention, non celle des Heidegger et autres Sartre qui ont voulu expliquer l’Existence, tant le terme résonne si bien, d’autant plus quand on le fait chanter avec le mot « liberté ».

Benjamin Fondane dit à ce propos la chose suivante : « La philosophie existentielle ne commence pas avant, mais seulement à partir de l’instant où tout enseignement finit, où le Savoir ne répond plus à nos questions, où les hussards, sabre au clair, ont triomphé sans retour. » Cesser de voler Dieu, c’est cesser de séparer le bien du mal en l’homme. C’est commencer à comprendre que la Grande manipulation des dieux, eux-mêmes manipulés par Dieu, a comme seul but d’aboutir à notre mise à mort. Je me suis embarqué avec le Christ dans une aventure impossible et qui me dépasse. Il ne veut pas m’inculquer la vérité, il veut que je sois la vérité. La mise à mort de mon existence est inévitable, moi dont l’existence est justement manipulée à tel point qu’il m’est impossible de concevoir la vérité et l’existence humaine autrement que comme une explication bien mise en catégories de Droits et de Devoirs. Plus question donc de droit, de psychologie ou de pseudo tolérance quant à l’existence de l’individu. L’être-existant que nous sommes, précisément, ne sait pas ce qu’est le fait d’exister ! Et jamais il ne le saura. Car c’est une chose qui ne se sait pas, qui ne s’enseigne pas, c’est une nature qui devient, dont on se saisit, ou plus exactement : qui ne peut que nous être donnée de la part de Celui-là seul qui Existe.

A contrario, finit donc Fondane, juste après : « La philosophie positive, c’est un royaume où l’exception n’est pas encore née ; royaume immense, mais fragile : à la merci du moindre désastre. » Je pense qu’en voulant simplement appeler un voleur, un égaré, on n’invite pas l’exception, on n’invite pas la venue de Dieu, ce fameux « soudain » qui vient créer le désastre dans la nature humaine en lui disant : « Tu vois, tu ne sais pas ce qu’est l’existence, tu ne sais pas qui je suis et qui tu pourrais être. Tu ne sais pas voir ce que le potier est en train de faire avec cette glèbe, et si l’œuvre réussira, ou si elle échouera. Tu ne le sais pas, alors tu essaies de le savoir en sondant l’être et en l’analysant. Pour moi, je n’ai besoin ni de sonder, ni d’analyser. Je sais qui j’appelle, et je sais qu’inévitablement, il cherchera à me voler, à bâtir son appel, à dogmatiser la vie spirituelle. Alors je le briserai de nouveau, et recommencerai l’œuvre, jusqu’à ce qu’il se laisse enfin faire, qu’il laisse mes mains l’enfanter. »

bien à toi, ivsan

3. Le vendredi 3 février 2017, 00:25 par Jessé

En écoutant votre réflexion, je me dis que ceux qui croisent le Christ, non seulement ne se contente pas de l’avoir croisé, mais désirent le plus souvent s’improviser « croisés »! Après je me pose la question à savoir si l’armure de Dieu, mentionnée par Paul dans ÉPHÉSIENS 6:11, ne devrait-elle pas aussi être retirée en fin de compte.

Puisque tout bon chrétien est volontaire pour l’emporter sur le « diable », Paul semble nous donner une méthode infaillible, ou plutôt décrite de telle sorte que celui qui la revêt peut se targuer d’invincibilité. Toutefois, est-ce bien son message?

À ceux qui n’ont plus de recours dans la réalité, c’est bien à ma connaissance la première chose prescrite par les enseignants de la bible. Éprouves-tu des difficultés dans tel ou tel domaine, une seule réponse nous est donné: «Change d’équipement mon bonhomme!» Mais cette armure n’est pas à toute épreuve et, même qu’elle encombre parfois, puis nous devient bientôt lourde à porter.

Après l’on se met à fantasmer sur la meilleure combinaison possible, ou bien sur la pièce hors de prix de cet habile forgeron du village, vous savez, celle avec des propriétés dites magiques. On finit par lui voler l’armure de Dieu. En tout cas, prise comme telle parce qu’il a savamment usé de ses compétences pour la gravure et la contrefaçon. Mais sait-on toujours à temps qu’il s’agissait de toc « Made on Zion »?

4. Le vendredi 3 février 2017, 12:56 par Ivsan Otets

salutations Jessé,

J’ai, comme vous, remarqué le jeu de mots possible entre « ceux qui croisent le Christ » et « les croisés » partant en guerre contre les infidèles. Je n’ai pas voulu surcharger la causerie en glissant sur ce développement.

Votre remarque et votre lien avec le passage d’Éphésiens sont assurément opportuns. Cette épître, que j’ai lue et relue durant mes années ekklésiastiques est envoûtante au possible. On se l’accapare si facilement et l’on y trouve toutes sortes de consolations et d’exhortations à combattre pour l’honneur de Dieu et de Son Église. Hélas ! Elle n’est pas de Paul ! La chose est désormais difficilement discutable. Quand, soudain, on découvre cela, pour peu que l’on soit un bon lecteur de Paul, on se dit : « Mais bon sang, c’est bien sûr ! Comment n’ai-je pas vu cela avant ? »

Pouf ! La chute. Qu’est-ce que je vais faire de cette information ? Est-ce que je fais l’autruche ou est-ce que je me lance dans un travail de recherches ? Comme vous le voyez, j’ai choisi la seconde solution. Et tout comme vous, j’en suis arrivé à comprendre que le propos était, comme vous dites, un « Made of Zion. »

Je ne condamne pas cependant trop vite ces auteurs issus du préchristianisme. Ils ont sincèrement cherché à concilier le Christ avec la vision messianique d’une royauté davidique. Toutefois, si cette sincérité de l’individu m’incline à l’empathie, elle ne m’ôte pas le droit de n’avoir aucune charité pour les idées. L’auteur d’Éphésiens était probablement un aimant-dieu et zélé, mais la somme de conneries qu’il raconte ne mérite aucun aménagement.

Déchirer le tissu, séparer franchement la vieille étoffe de la nouvelle est une tâche impossible et quasiment surhumaine. « L’angle de déchirure » est tellement étroit. On bascule si facilement, soit dans une dé-spiritualisation de la Torah, soit dans le nouvel Israël ecclésiastique. Il faut séparer.

D’une part :
En comprenant le rôle spirituel de la Torah. Et de fait, en laissant à Israël sa mission terrestre : « Il ne tombera pas un iota jusqu’à ce que le ciel et la terre aient passé… » On comprend alors que cette mission s’étend à la Raison elle-même, et que ses élus sont légion : le monde grec, la science, la morale, et toute religion qui, un tant soit peu, a dans l’Histoire prêché la morale et a tenté de faire sortir l’homme archaïque de sa grotte, de l’encourager à briser ses idoles. On comprend alors que la Torah est finalement ce concept des Lois de la raison tonnant ses évidences indiscutables du haut de sa montagne ; et qu’elle a été, en effet, cette « lumière placée sur le chandelier » pour tout éclairer de ses vérités éternelles, partout et pour toujours. Et on comprend enfin que la Société technicienne qui finit par naître dans cette lumière et sous la protection de ce sel est pire que la première qui était insérée dans l’idolâtrie et la superstition. C’est ici que se trouve la compréhension de l’impasse de la Torah, et comment celle-ci devient en définitive un tuteur vers l’autre forme de pensée que suggère le Christ : la pensée adogmatique, irréligieuse et akklésiastique. Akklésiastique, dans le sens d’une sortie du Général, de son concept de corpus collectif, et en insistant cette fois sur la centralité de l’existentialisme : le temple de la Vérité, c’est l’Un-dividu et chaque-Un. Car lorsque les vérités générales tombent, lorsqu’elles sont crucifiées, seul le Christ, l’Être-existant peut ressusciter, et avec Lui, nous faire marcher sur l’eau.

Et d’autre part :
Il faut refuser de transférer cette mission civilisatrice à l’Église. Refuser de faire d’elle le second Israël. Il faut rejeter catégoriquement le corpus christi qui n’est qu’une mutation de l’Israël-davido-torahique en une Israël-christo-davido-torahique. Un envoûtement. Car alors, cette dernière se transmue en une supercherie bien plus puissante que la Raison-des-Lois puisqu’elle inclut cette fois le Christ comme Celui qui ratifie la Loi en lui payant son dû par son sang. Tout le concept d’Expiation est donc à revoir. Il faut enfin le faire échapper à la Raison, à la Justice du bien et du mal. Il faut enfin l’associer à l’Arbitraire de Dieu : Il me donne Vie, Sa Vie, parce qu’Il le veut, et uniquement parce qu’Il le veut, même si cela constitue la plus haute injustice devant la balance des paiements de la Loi. Car la Loi ne sera pas payée tandis que le pardon s’accomplira quand même, dans son dos. Bien davantage, car la Résurrection aura lieu, contre la Loi, et en la jugeant de surcroît, ainsi que ses messagers !

 


 

Soit donc entre ces deux pôles, « l’angle de déchirure » est si étroit qu’il nous demande une vie entière pour commencer à l’obtenir. Le préchristianisme, notamment Paul, a commencé cette tâche, mais avec difficulté (voir nos causeries sur l'épître aux Romains). Pourquoi ? Parce que les hommes du préchristianisme étaient bien plus proches que nous de la Torah et de sa royauté davidique dont ils étaient nourris depuis l’enfance. Déjà à cette époque la Loi était prête à croiser le fer avec le Monde entier afin d’éclairer toutes les civilisations de sa lumière, mais il est néanmoins fort dommage qu’elle ait trouvé en l’Église de quoi revêtir une armée pour cette tâche. Telle est la condamnation ecclésiastique. Nous la distinguons, bien sûr, de ses œuvres de bienfaisance. Des auteurs comme celui de l’épître aux Éphésiens ou encore Jacques, Luc… ont certes contribué à faire de l’ekklésia cette armée de Croisés. Ces Croisés dont nous parlons dans la causerie : des prosélytes, des belliqueux, des moralistes qui ne supportent pas qu’on les reprenne, des politico-sociaux qui se croient spirituels en faisant une carrière et en se plaçant comme modèles de comportement humain, etc. Mais ce que je veux dire, c’est que les auteurs du préchristianisme sont, selon moi, moins responsables que ceux-là qui les lisent aujourd’hui. La chrétienté qui vient, après, avait suffisamment de recul pour procéder à la déchirure. Bien que, je le conçois, l’envoutement du corpus christi et des récompenses terrestres selon la Loi est devenu désormais une force magnétique au moins aussi puissante que le roi-messie de la tradition torahique avec sa Torah des résultats.

Bref, je sais fort bien que vous savez tout cela mon cher Jessé. Je n’ai fait que profiter de votre pensée aiguisée qui comprend si bien le problème, pour que notre échange, finalement, offre une petite causerie écrite à ceux qui nous lisent.

Bien à vous, très cher fratello, Ivsan

5. Le samedi 4 février 2017, 12:16 par david

Bonjour, 

« L'angle de déchirure » n'est pas entre les deux pôles. D'ailleurs, vous le décrivez bien dans chacun de vos deux pôles. Les deux pôles ne font qu'un : le corpus christi c'est la Torah transmise aux nations à la sauce grecque, il n'y a pas lieu, dans un premier temps, de « rejeter catégoriquement le corpus christi » car il a le même rôle de ministère de la condamnation, d'impasse, de « tuteur vers l'autre forme de pensée que suggère le Christ ». 

Je ne pense pas que ce soit une question de « recul » suffisant pour la chrétienté actuelle, ce qui sous-entend un raisonnement. Par exemple, Chestov parle de Plotin, qui avait réalisé cette déchirure, sans connaître ni la Torah ni le nouveau testament.

Un recul, compris comme une meilleure compréhension, donc accessible à une communauté (la chrétienté), en raison d'une distanciation temporelle, ne peut pas réaliser un changement qui ne peut être qu'individuel et incommunicable puisque reléguant la raison de chacun au rang de subordonné.
Le recul, quant à ce changement (déchirure entre évidences et autre forme de pensée), ne peut être entendu que comme un constat individuel a posteriori par celui qui l'a déjà réalisé, lorsque la raison (la loi, la morale, le corpus christi, l'universalité, etc...) est passée derrière.

6. Le samedi 4 février 2017, 13:52 par ivsan otets

Il y a selon moi deux grandes routes de la Raison. L'une consiste à s'accaparer la Raison sans dieu(x) : par la science, la philosophie, etc. Les qualités prométhéennes de la Raison aboutissent à ce que j'appelle le passage du Monothéisme au Monisme. La première Raison au ton religieux se mue en une philosophie de l'Un où le divin n'existe plus. Le divin, c'est l'Unité. Ce dernier (le Monisme), outre sa version technicienne, universaliste, mondialiste et purement athée, a son pendant dans l'extraordinaire mariage entre la pensée grecque et la pensée bouddhiste.
L'autre route consiste par contre à s'accaparer la Raison avec dieu(x). Soit par le Judaïsme fort simplement, soit par une autre religion. Les qualités prométhéennes de la Raison (qu'on nommera donc la Torah dans le judaïsme) ont bien sûr réussi à se muer en n'importe quel dogme et sous n'importe quelle divinité ou mysticisme, christianisme y compris. C'est pourquoi, pour l'ecclésiastique, c'est ici, entre le pôle de la Torah et celui du Christ qu'il lui faut réaliser la déchirure. L'ancien et le nouveau tissu, que sont ces deux pôles, entraînent donc les trois gestes suivants : 1. Ne pas abolir la Torah. 2. Refuser de revêtir le Christ de la Torah, et par suite, refuser de bâtir son corpus christi qui n'est qu'une mutation de la synagogue. 3. Séparer définitivement le Christ de ces avatars-là.

De fait, j'insiste : il faut catégoriquement rejeter le corpus christi, même si : « il a un rôle de condamnation, d'impasse ou de tuteur » vers l'autre forme de pensée que suggère le Christ. Le Christ, c'est un impossible tant sa démarche est adogmatique. Alors voici, on veut en plus nous en refiler un autre, une copie délavée, asservie à la Torah ! C'est à cause de cette démarche que nombre de gens se dégoûtent de Lui, et, comme on dit, jettent l'eau du bain avec le bébé. L'akklésia est pour nous la possibilité d'enfin annihiler cette ambiguïté d'un christ-ci, d'un christ-là… C'est enfin la possibilité de L'aimer, à l'extérieur, sans n'avoir plus à subir, précisément, les graves blessures que cette subversion du Christ entraîne dans la vie d'un homme de foi. Eh quoi ! Vouloir préserver le corpus christi, c'est garder la guillotine du génie diabolique par laquelle la foi en Christ peut être décapitée nettement. Le Christ est suffisamment difficile à suivre pour n'avoir pas besoin de ces clowns autistes que sont les christ mis à égalité de Moïse et d'Élie. « Écoutez-le, Lui seul, a-t-il été dit sur le montagne. Retirez-vous Moïse et Élie. Merci pour votre témoignage, mais la couture ne se fera pas !
Je suis d'accord avec Paul qui n'a oint que la Torah pour conduire l'homme dans l'impasse. Bien davantage. Je ne vois nulle part le Christ en train de bâtir le corpus christi et s'associer à la machiavélique ambiguïté d'un christ lévitique. Nous avons beaucoup parlé de cela, ici et là. Que le Christ renvoie à la Torah ceux qui ne sont pas prêts (notamment la foule) : Da ! Mais ceci est tout autre chose. Le Christ ne rentre pas ensuite dans leurs bergeries torahiques. Niet ! Il se tient dehors, nous dit le texte, et il appelle par leurs noms, ceux qui sont prêts, pour les conduire – dehors. Tel est l'état d'esprit dans lequel nous nous tenons, Dianitsa et moi-même : Laisser à l'Église ceux-là, à leur Mère-église ; et se concentrer sur le fait d'encourager ces autres-là, ces hommes et ces femmes mûr(e)s qui juste avant que le biberon de la mère-église ne se transforme en guillotine ou en poison mortel, entendent le bon berger les appeler pour les conduire dehors.

Merci pour votre courageux commentaire.

bien à vous, ivsan

7. Le samedi 4 février 2017, 16:45 par Olivier

Bonjour,

Merci pour cette explication de votre position. Vous êtes de plus en plus clair et explicite. Indépendamment du cheminement de chacun, je trouve que votre intuition, réflexion, travail et peut-être Aide tendent vers une simplicité qui ne peut être que la marque d'avoir fait vôtre la Foi reçue sans la dénaturer.
Puis-je me permettre de vous demander la raison de qui vous pousse à vouloir transmettre ce qui vous habite, et que vous êtes maintenant capable d'expliquer si simplement.

Merci,
Olivier

8. Le dimanche 5 février 2017, 13:35 par ivsan otets

Bonjour Olivier

J'ai lu avec attention la question que vous me posez. Puis je l'ai relue – de nouveau. Voyez-vous, je ne sais comment y répondre. Mais soyez rassuré Oliver, là n'est pas de ma part la manifestation d'une quelconque condescendance, pas plus que d'une pudeur. Je ne sais, en toute sincérité, comment y répondre. Je pourrais fort bien dérouler quelque peu ma vie, mais là aussi, je ne vois pas en quoi cela répondrait réellement à votre question. Je suis fait de la même pâte que tout le monde, et l'adversité, présente ou passée, pourrait s'expliquer de multiples façons. Quant à l'idée de s'auto proclamer, je ne sais quoi, ou je ne sais qui : il n’en est nullement question.

In fine, je répondrai ainsi à ce que vous me demandez : Je ne peux ni ne veux faire autre chose.

Je vous salue chaleureusement, ivsan

9. Le dimanche 5 février 2017, 22:42 par olivier

Cher Ivsan,

C´est, en vérité, une bien belle et heureuse réponse de votre part. Réponse courte mais qui englobe tout. Le pouvoir et le vouloir. Le vouloir reste simple à comprendre, mais ce pouvoir est des plus intéressants. Car je ne pense pas que ce terme recouvre, dans votre cas, un manque de capacité, mais bien plus un sentiment d´inéluctabilité. Inéluctabilité, qui devrait être, pour nombre de vos lecteurs (et pour vos non-lecteurs, mais ils ne sont pas forcément au courant), une heureuse chose.

Un fraternel merci,

olivier

10. Le lundi 27 février 2017, 13:13 par Thamis

« Alors je le briserai de nouveau, et recommencerai l’œuvre, jusqu’à ce qu’il se laisse enfin faire, qu’il laisse mes mains l’enfanter. »

Cela risque de faire un fil « un peu décousu » mais je me permets de questionner Ivsan concernant la fin de sa première intervention sur ce fil.

Même si le dogme nous à appris qu'« il est réservé aux hommes de mourir une seule fois » (Héb. 9:27), et même si mon entendement approuve cette « assertion », mon expérience existentielle (propre) me laisse à penser que cela n'est pas forcement exact.

En effet, même si je me permets de replacer une nouvelle fois un existentiel personnel, cependant pourtant partagé par d'autres personnes exemptes également de crises d’épilepsie, je ne m'explique pas pourquoi quasi H24, je sais (comme si je l'avais déjà vécu) ce qu'il va se passer au « coin de ma rue »…

Cela n'aurait guère plus d'importance si tu n'avais pas écrit la phrase citée plus haut qui laisse subsister l'éventualité de « recommencer » le « jeu » (sa vie) en un nombre de fois pas forcement « déterminé ».

Bref, si la métempsychose n'existe pas, ne pratiquant pourtant pas (à mon sens) la « théurgie », se pourrait-il donc qu'un « voleur de Dieu » puisse « piquer » (à Dieu) de sa prescience ?

Pour « conclure » – et de mon point de vue – voler Dieu à quelque chose de saugrenu. Ne serait-ce pas plutôt Lui qui peut permettre ce genre de chose/latitude ? (le vouloir et le faire).

Merci encore pour votre œuvre (à tous deux).

11. Le jeudi 2 mars 2017, 20:27 par david

Bonjour Ivsan,
Dans cette causerie vous parlez à plusieurs reprises de « sacrifice ». Faites-vous un lien entre sacrifice et lutte pour la foi ?

12. Le jeudi 2 mars 2017, 22:58 par ivsan otets

salutation Thamis,

Je reprends donc cette phrase que j'ai écrite et sur laquelle tu glisses ton propos : « Alors je le briserai de nouveau, et recommencerai l’œuvre, jusqu’à ce qu’il se laisse enfin faire, qu’il laisse mes mains l’enfanter. » – Je ne supposais pas ici les doctrines de réincarnations ou de métempsycose, etc. Absolument pas. Si j'avais d'ailleurs imaginé qu'on puisse me comprendre sous cet angle, j'aurai alors formulé la chose autrement pour éliminer toute ambiguïté. En comparaison à la tracasserie d'un gosse qui se fait voler son seau en plastique par le petit copain alors qu'il joue au bac à sable, je dirai que l'Hindouisme et le Bouddhisme sont pour moi des actes de pédophilie. Comparées à la bisbille du seau en plastique, les doctrines des réincarnations sont des tourments de détraqués par lesquels on brûle les hommes dans leur intériorité même. Je l'ai mille fois dit. Et d'ailleurs, on tape souvent avec raison sur les prêtres, mais le monde indo-bouddhique est rempli de tarés adulés et de criminels sexuels. Je ne citerai que Sogyal Rinpoché qui est reconnu comme la réincarnation d’un des maîtres du treizième dalaï-lama. « La réincarnation ? Quelle belle enculerie. Je reviendrai ! » répond Sogyal Rinpoché. Et dès qu'on cherche, on découvre que ces religions orientales foisonnent de tels cas.

La tentation est grande néanmoins de dogmatiser façon Bible certaines intuitions des brahmans et autres dalaï-lama. Ils sont en effet parfois très perspicaces, aussi faut-il beaucoup de discernement. De là la comparaison que je fais plus haut. Quant à la doctrine des réincarnations elle-même, je l'ai dit et redit : c'est la logique de la Raison amenée à son paroxysme dans un espace spirituellement construit pour elle. Je parle de la Raison en tant que raison pratique dirait Kant, dans l'idée du bien et du mal, et donc, dans l'idée des conséquences logiques et rationnelles vers lesquelles les lois du bien et du mal nous entraînent, nécessairement. C'est somme toute de la Torah. Les commandements du bien et du mal qui exigent que tout soit payé, « jusqu'au dernier centime ». C'est pourquoi le Judaïsme a depuis longtemps adopté les doctrines des réincarnations. Une vérité dont le nirvâna-sortie est impossible et une chimère. Le prix n'est jamais payé ! Ça amuse pourtant certains d'associer ainsi Dieu-et-la-Raison de façon absolue. Alors oui, en ce cas : il faut de la réincarnation ! Quant au prix à payer dont il faut bien admettre qu'il n'est jamais payé, on sort tout simplement le joker de la Grâce. Mais gracier quelqu'un après 523 réincarnations alors qu'on aurait pu le faire à la fin de la première vie, c'est soit de la cruauté, soit une grâce qui manque de puissance. Il faut botter le cul d'un tel dieu. Mettre bouddha et brahman dans la cuvette des chiottes avec leurs réincarnations et tirer la chasse. C'est une enculerie.

Comme tu le sais Thamis, et je l'ai aussi dit mille fois : je ne crois pas à l'âme. Je pense que ce vocable est un mal-entendu. C'est la Conscience qui subsiste après la mort. L'âme, c'est le corps, c'est la possibilité d'incarnation. Perdre son âme, c'est perdre cette possibilité ; c'est être laissé sur le carreau comme une Conscience désincarnée. Une Conscience qui a donc conscience de Tout. Tout lui est clair, dévoilé, la matière ne faisant plus voile. Elle a conscience de tout ce qu'elle est, a été et ne peut être ; conscience de la justice du bien et du mal, du mal qu'elle a fait et ne peut réparer, et du bien qu'elle a fait et dont elle ne peut profiter au mérite étant sans corps ; et de fait, une Conscience qui a conscience et besoin de tout, mais qui ne peut absolument plus incarner ce qu'elle veut être, sentir, ressentir, donner, et dire, parce qu'elle a perdu l'âme, la corporalité, la possibilité d'exister en réalité.

Pour ce qui est de « voler Dieu » ; dans le sens que tu abordes qui serait de Lui « voler de la prescience », et même comme tu le supposes : alors que « Lui-même aurait préparé une telle chose. » — Entre Dieu et l'homme, selon moi, il n'y a que la Raison. C'est-à-dire ce que certains appellent le Créateur ; la fonction créatrice ; le monde angélique ; l'Élohim ; ou encore l'idéalité des Lois dans leur pureté, dans leur essence ; le monde de la Science dans ses racines lumineuses et par lesquelles notre Réalité est tenue en bride, etc, etc. C'est donc le monde des valets, des serviteurs, des administrateurs, des autorités, des règnes, etc. Ce que certains appellent les puissances occultes, les anges et les démons. Mais en somme, y entrer, c'est un peu comme si tu entrais, à cet instant, là, maintenant, dans la carte mère ou le processeur de ton ordinateur. Alors bien sûr, c'est magique, c'est un autre monde. Et puis, là-bas, étant si proche des vérités logiques de la machine, tu sais – avant – le résultat du calcul qui va s'afficher – après – sur l'écran. Or, ce décalage peut être perçu, ici-bas, dans notre réel, dans notre ciel, comme un décalage en heures, en mois, ou plus rarement, en années. De là parle-t-on de prémonition, de médiumnité, de théurgie, de prescience. C'est aussi un mal-entendu. Un homme qui a ouvert une telle porte – pour quelle raison ? je ne sais ; peu importe, peut-être lui a-t-on fait croire que ce Monde est celui de Dieu – mais dès lors que cet homme a un jour ouvert une telle porte, il est entré dans les écuries, le garage, la cuisine… de la réalité. Le Roi, lui, n'y va jamais, pas même son Fils d'ailleurs. Le Roi et son Fils, ils se moquent bien de la prescience comme de la science. Leur prérogative, c'est de commander aux valets, non de les comprendre. Le monde des obéissants et de leurs vérités nécessaires n'est pas le leur puisque, entre les Fils de l'homme, nul ne règne, nul ne domine l'autre, mais chaque-Un règne néanmoins sur son propre réel.

Alors voici. Qu'est-ce qui est le plus dur ? Aller laver les chiottes du monde, faire sa cuisine, ou encore être son maçon, son architecte, son ingénieur, ou sinon son cultivateur, son biologiste, comme un bon petit ouvrier obéissant aux lois du Tout ? Ici caporal-palefrenier, ou là colonel-mathématicien ? Ou bien. Devenir Fils de Dieu et sur une parole, faire bouger toute cette troupe de lumineux savants pour qu'ils fassent ce que je veux ? Assurément, devenir raisonnable et plus facile que Fils de Dieu. Le changement de Nature du premier est à notre portée : le second est un Impossible qui vient du Christ. C'est donc le second que Dieu vise. Et le premier est une chute. L'homme qui a ouvert la porte des anges est toujours mal en point à terme. Car l'ange est machine. Certes, la magie est au premier abord enivrante, mais la déchéance de Nature devient vite insupportable. L'homme qui va dans ce monde de l'obéissance absolue et de leurs lois idéales devient vite mal à l'aise. La liberté qui semble fuir en échange d'une puissance qui s'impose, cela est déchirant pour l'homme intérieur.

D'ailleurs, Thamis, si tu pouvais marcher sur l'eau, quand tu le veux, sans que cela te soit imposé ; ou guérir telle ami, parce que tu l'aimes, et que tu choisis de le faire, sans qu'aucune prescience ne te tombe sur la tête et s'impose à toi : tu n'aurais aucun inconfort.

bien à toi, fratello, ivsan

13. Le jeudi 2 mars 2017, 23:34 par ivsan otets

salutations David,

Oui, absolument David. Je dis souvent que le Christ n'est venu que 3 jours. D'ailleurs, le calcul de trois années pour couvrir les quatre Évangiles n'est pas certain. Peut-être n'est-ce que 18 mois ? Mais 18 mois ou 3 années, de toute façon, rien de significatif ne se passe. C'est riche, mais non essentiel. Le Christ n'est venu que 3 jours ! Il est venu pour mourir et pour ressusciter. Et ce qui se passe avant n'est pas essentiel ; parce je me fous complètement d'un Dieu qui soit incapable de mourir et de ressusciter. Je veux donc qu'Il veuille et puisse le faire ; et, de plus, je veux qu'Il le fasse, non pour payer ma dette, car mon pardon, Il le décide sans demander l'avis de quiconque, et encore moins l'avis de cette foutue accusatrice qu'est la Loi. Aussi meurt-Il et ressuscite-Il – pour moi ! Pour m'aider à croire en Lui et pour que je sache qu'en L'aimant, j'aime un Fou, etc, etc. – Oui, je crois que le sacrifice est la trame qui tisse la vie de celui qu'Il appelle à Le suivre. En dehors de cela, qu'y a-t-il d'essentiel ? La Résurrection ! Uniquement la Résurrection. Le reste ? Ce n'est pas essentiel, et même souvent un piège. Le suivre, c'est perdre sa vie. Le suivre, c'est devenir un paumé. Et bien souvent, Le suivre, c'est sacrifier en plus de cela un putain de truc auquel on tient vraiment… afin d'aider l'Autre.

bien à vous, ivsan

14. Le vendredi 3 mars 2017, 20:24 par david

Je vous posais cette question, cher Ivsan, car il me semble avoir lu à plusieurs reprises chez Chestov que l'idée du sacrifice personnel nous venait de Socrate. Sacrifice réclamé par l'éthique, devenir « quelqu'un de bien » n'est pas sans induire quelques sacrifices... Par exemple, Chestov écrit dans son livre Kierkegaard et la philosophie existentielle à la page 228 : « Tout (chez l'homme soumis à l'éthique ou le chevalier de la résignation pour employer l'expression de Kierkegaard) est dominé par l'idée du sacrifice volontaire, et non pas par l'idée qui inspirait Abraham, lorsqu'il leva son couteau sur Isaac : Abraham croyait que même s'il tuait son fils, celui-ci lui serait rendu : à Dieu rien n'est impossible. Un tel sacrifice plaît à Dieu, mais l'éthique ne consentira jamais à l'accepter. » (En passant, parler de sacrifice volontaire n'est-il pas un oxymore ?). Chestov parle ici de deux types de sacrifice : celui exigé par l'éthique (tout comme certains tireront de la même idée le sacrifice du Christ comme paiement à la Loi), en réponse au Néant (en réponse à ce qui n'est pas, si je peux l'exprimer ainsi en opposition à Celui qui est) dans lequel notre raison se console de l'angoisse en y voyant la Nécessité ; et celui qui plaît à Dieu, scandaleux au regard de l'éthique (mais je dois dire que j'ai beaucoup de difficulté avec cette expression « plaire à Dieu » ; c'est ce qui m'a, entre autre, fait fuir les églises : je ne sais pas, mais cela sonne à mes oreilles comme une tentative de vouloir séduire Dieu, comme une remise en cause de l'amour que le Christ nous porte et pour tout dire comme un appel au mérite, un salut par les œuvres, une recherche à vouloir sauver sa vie). Mais mon propos est ailleurs : je m'interroge, si Abraham croyait que son fils lui serait rendu, est-ce un sacrifice que de tuer Isaac ? Si l'on croit que Dieu peut faire que ce qui a été n'a jamais été, y a t-il un sacrifice ? Alors peut-on encore employer le mot de sacrifice quand on a cette foi ? Le terme n'est-il pas plutôt lié à cette illusion exigée par l'éthique ? Par exemple, quitter une vie bien établie et devenir un paumé pour répondre au Christ, est-ce réellement un sacrifice ou n'est-ce là aussi qu'un sacrifice illusoire puisqu'on ne quitte rien d'autre qu'une illusion ? Le seul sacrifice véritable n'est-il pas celui du Christ (pour que l'homme puisse croire que la mort est vaincue) et en conséquence, du côté de l'homme, le renoncement à savoir ce qui est bien et ce qui est mal, donc le renoncement à chercher à sauver notre vie, le renoncement au confort de savoir où l'on va ?

15. Le samedi 4 mars 2017, 00:43 par ivsan otets

salutations David,

Je pense qu’il aurait fallu directement commencer par là David. J’ai bien remarqué que votre première question cachait la vraie question que vous vous posiez, mais que vous préfériez garder cette dernière « sous le coude ». Aussi je ne savais trop comment vous répondre (je vous avoue même avoir hésité de vous répondre par un simple « oui » finalement vague et bien pratique). La chose suivante me paraissait en effet évidente : vous aviez choisi, dans un premier temps, de commencer en quelque sorte par La question Test. – Bref…

À la critique de Chestov à l’égard de K., je réponds : « Oui, mais non. » Oui. Car il est vrai que les thèmes de la souffrance et du sacrifice chez K. sonnent fort souvent à la manière de Spinoza ou de Nietzsche ; comme une soumission mystique à l’« invincible destin ». Et il est vrai que la chose en devient parfois hautement répulsive tant l’odeur ecclésiastique ressort. Non. Parce que je ne pense pas que K. croyait réellement à ce qu’il disait, que la dureté du christianisme était éthique ; parce que tant d’autres passages chez lui luttent pour affirmer le contraire ; et enfin, parce que l’histoire personnelle de K. explique bien des choses lorsqu’on monte sur le ring de son écriture (son père et l’éducation puante de ce puritanisme protestant qu’il lui infligea, le grand ami de ce père qui était évêque et enseignant de K. dès son enfance, le problème de la malédiction dont K. s’est cru frappé, etc). Enfin, même si après une critique de K. dans la droite ligne philosophique, pesant ses postulats et discriminant ses théories, lorsque K. lance finalement son : « La croix est vide parce qu’elle t’attend » – il a raison, quel que soit ce qu’on met derrière le vocable « sacrifice ». Bref…

Lorsque vous dites : « Je m’interroge. Si Abraham croyait que son fils lui serait rendu, est-ce un sacrifice que de tuer Isaac ? Si l’on croit que Dieu peut faire que ce qui a été n’a jamais été, y a-t-il un sacrifice ? » – Je répondrai fort simplement : Peut-on avoir un fils, un fils qu’on aime de tout son cœur, et dire une telle chose ? Je dirai même que c’est bien dans ce genre de réponse que se trouve l’esprit religieux, l’esprit de l’éthique. Cela me fait penser à la réplique de Job : « L’Éternel a donné, et l’Éternel a ôté ; que le nom de l’Éternel soit béni ! » Job était alors religieux et il fut couché malade sur son lit de paille précisément parce qu’il répondait des trucs comme cela. La Résurrection n’est pas suffisante – voyons ! Perdre quelqu’un qu’on aime, ne plus entendre sa voix, ne plus pouvoir le toucher… C’est dur de dur, bordel. Bien sûr, la Résurrection, le Monde à venir, le « Dieu peut faire en sorte que ce qui a été jamais n’a été », etc, etc. Ça fait passer la pilule. Mais ce n’est pas suffisant ! Il arrive un moment où l’on a envie de maudire Dieu comme le fit la femme de Job. Pourquoi s’en cacher ? Pourquoi jouer à celui qui a tellement bien compris l’existentiel dans la résurrection, Monsieur, que l’épreuve passe chez lui comme dans du beurre tant il est devenu spirituel.. C’est ce truc-là que Dieu vient briser par l’épreuve, précisément. Et le sacrifice consiste certainement, à ce moment, de tomber dans le : « Oui, mais non ! » – « Non, c’est dégueulasse, Dieu, ce que tu me fais subir, et je suis furieux contre toi. Mais je sais qu’au fond, je suis dépassé, je ne sais et ne vois rien, je ne suis qu’un animal intelligent, un misérable n’ayant quasiment aucune puissance sur la réalité malgré tous ses acquis, alors, oui, je t’aime encore, parce que j’aime ce fils de l’homme à venir que tu me promets. Je ne te demande qu’une seule chose : envoie-moi des amis qui garderont le silence, qui me comprendront, et non des amis de Job qui se la ramèneront avec la consolation à deux sous de la Résurrection. La Résurrection, c’est seulement entre toi, le Fils de l’homme, et moi, qui un jour sera aussi un fils de l’homme. » – Le sacrifice, somme toute, c’est encore, encore une fois, sacrifier l’Arbre de la Raison, sacrifier les réponses satisfaisantes à mes pourquoi suite à une chose déchirante qui me frappe ; accepter de n’obtenir aucune réponse satisfaisante si ce n’est le silence tonitruant de Dieu. Accepter même de sacrifier le concept de sacrifice, c’est-à-dire de pouvoir gober la souffrance, de pouvoir ne plus souffrir ma souffrance au nom d’un concept qui dépasse ma souffrance telle que celui de la Résurrection. Rien ne dépasse l’Existence, l’Être. Quand l’Être est là, dit Job, une seule de ses larmes pèse plus lourd que les montagnes. Je pleure, et je crois, certes, à la Résurrection, mais je suis là, dans le « pas encore ». La seule chose qui sèchera mes larmes, c’est que j’y entre, dans la Résurrection : effectivement. En attendant cette effectuation, je suis là, je pleure, et j’attends. Tel est mon sacrifice : seule l’effectuation de la Résurrection me consolera et toute autre consolation définitive prend dès lors le rôle de tentation.

Certes, le sacrifice vu comme un marketing avec le divin ou avec l’éthique, c’est écœurant. Mais je crois, au fond, David, que l’illusion (puisque vous employez ce terme), c’est justement de croire que le sacrifice est la prérogative du Christ. Le vie ici-bas n’est pas le jeu d’une Illusion voyons. Nous ne sommes pas dans une réalité qui est la maya hindouiste ; nous ne sommes pas dans cette chute des pécheurs qui subissent la peine d’être dans un corps vu comme un tombeau par Platon, lui qui était déjà hindouiste finalement. La vie ici-bas est prémices et allégorie d’une vie-à-venir, certes plus grande, inconcevable, mais de même type. Et je veux que cette vie que j’ai déjà croisse vers Cela, je le veux intensément, de tout mon cœur ; mais lorsqu’on me dit que pour l’atteindre je dois connaître ce paradoxe de la perdre, je décroche. C’est le clash. C’est le sacrifice. J’ai besoin d’aide pour supporter une telle chose. Car ma vie, je l’aime. J’aime l’Incarnation. Et j’aime l’air que je respire, le vent sur mon visage, la caresse de mon épouse, sa voix, son visage, son sourire, et l’eau fraîche qui coule dans ma bouche un jour d’été, etc. Accepter que tout cela soit la Graine de l’Épi-à-venir, et que cette graine doive aller pourrir dans la terre pour donner l’épi… ! Putain, mais c’est dur de dur voyons. C’est sacrificiel. – Le sacrifice n’est pas la prérogative du Christ. Bien plus. Le véritable sacrifice du Christ, parce qu’il sait ce qu’est l’Épi-à-venir, étant, Lui et en lui-même cet Épi-à-venir, et venant de là-bas, c’est justement d’être venu ici-bas. C’est cela son sacrifice : c’est son Incarnation. Sa croix n’est pas son sacrifice, voilà l’illusion, c’est le nôtre, et il y est monté pour nous aider à monter sur notre croix. De là Kierkegaard a-t-il raison de dire que : « La véritable souffrance du Christ, c’est de ne pas avoir été connu pour ce qu’il est. »

bien à vous, i.o.

16. Le samedi 4 mars 2017, 10:09 par david

Merci, cher Ivsan, pour vos réponses, toujours pleines de perspicacité...

17. Le lundi 6 mars 2017, 13:42 par david

… seulement je continue à lire dans votre réponse que l'illusion dont je parlais n'était pas la croyance en la toute puissante Nécessité face à notre angoisse du Néant... En ce cas précis il s'agit plus d'une difficulté d'interprétation que de définition. Par contre lorsque j'évoquais l'oxymore du sacrifice volontaire, là c'est une question de définition, car il me semble que vos exemples évoquent plus la souffrance (sacrifice involontaire ?). Toutefois, dans la suite de votre réponse cette souffrance devient épreuve et enfin sacrifice : « Pourquoi jouer à celui qui a tellement bien compris l’existentiel dans la résurrection, Monsieur, que l’épreuve passe chez lui comme dans du beurre tant il est devenu spirituel. » Pour conclure, par un cheveu dans la soupe : « Le sacrifice, somme toute, c’est encore, encore une fois, sacrifier l’Arbre de la Raison », car ici ce n'est plus l'épreuve qui soit un sacrifice, mais juste un chemin qui y mène. Pour vous le sacrifice est-il la transformation de la souffrance en épreuve ou le renoncement à chercher un sens dans cette même souffrance ? Est-ce l'exigence de l'éthique que vous exprimez plus clairement dans votre « je dois » ou ce qui vint comme ce cheveu dans la soupe auquel je faisais référence plus haut ? Vous écrivez en effet ensuite : « La vie ici-bas est prémices et allégorie d’une vie-à-venir, certes plus grande, inconcevable, mais de même type. Et je veux que cette vie que j’ai déjà croisse vers Cela, je le veux intensément, de tout mon cœur ; mais lorsqu’on me dit que pour l’atteindre je dois connaître ce paradoxe de la perdre, je décroche. C’est le clash. C’est le sacrifice. » Qui est ce « on » ? Je pense qu'ici votre « je veux » ne soit pas le nôtre mais celui de Celui qui est et que le « on » qui entraîne votre « je dois » soit ce qui n'est pas. Car si j'admets qu'autant la Nécessité que le Christ nous demande un sacrifice, quelle différence y a t-il entre eux ? Ou la différence tient-elle dans notre réponse ? Notre « je dois » sera une réponse à la première, mais c'est alors un sacrifice bien illusoire, quand notre « je veux » (ou sacrifice volontaire pour reprendre l'expression de Chestov quant à ce qui a motivé le geste d'Abraham), en réponse au second, ne nous ramène à rien d'autre qu'à ce cheveu dans la soupe.

18. Le mardi 7 mars 2017, 01:21 par ivsan otets

salutations David,

Je ne sais si je comprends réellement ce que vous essayez de me dire, et je me demande s'il n'en est pas de même de votre côté. Bref, peut-être sommes-nous en train de couver le mal-entendu.
Ainsi donc, je me demande s'il ne serait pas mieux (et plus efficace) de passer tout simplement à l'oralité ?

i.o.

19. Le mardi 7 mars 2017, 23:20 par david

Bonsoir Ivsan,
Votre sacrifice est une résignation qui est ce que nous renvoie la raison. Pour reprendre votre propos, Dieu ne nous fait pas « subir » la mort d'un proche, c'est Abraham qui lève le couteau ; nous ne « devons » pas perdre notre vie, la mort est un gain pour Paul. Le sacrifice est un « je veux », un renoncement au « je dois » qui est toujours une réponse à la Nécessité.

20. Le mercredi 8 mars 2017, 05:11 par ivsan otets

salutations David,

Vous parlez trop vite David. Vous vous emballez. Car ainsi que je le disais : vous n'avez pas compris mon propos. Vous pensez que je parle de « résignation » : c'est faux ! Je ne parle pas de « résignation ». Je ne vous ai d'ailleurs pas attendu pour penser cet amalgame à propos de la résignation. Aussi ne m'apprenez-vous rien, ne vous en déplaise, parce que vous sortez de votre chapeau le charme de la résignation que vous venez de découvrir auprès de Chestov, lui-même que vous lisez depuis quelques mois suite à sa découverte sur Akklésia.

Je crois tout d'abord que votre erreur tient au fait que vous avez pour habitude de vous construire par le vis-à-vis d'un ennemi, lequel vous est dès lors indispensable. Mauvais réflexe. Car cela vous incline alors à fabriquer chez moi ce qui vous servira de punching ball, au prix même de mal me lire, de déformer mon propos, et de me faire dire ce que je ne dis pas. En ce qui me concerne, et bien que je sache rendre les coups, là n'est pas, précisément mon réflexe. Car si je me trompe ou m'égare, je l'admets. Mais c'est autre chose si par contre on cherche à m'instrumentaliser pour se rassurer et s'assurer d'être quelque peu inspiré. De plus, outre le fait que la moitié de notre site est libre, il me semble que je me rends plutôt disponible dans mes réponses. Celles-ci font souvent 4 à 5 pages, voire plus, et elles ont une certaine lisibilité que je soigne afin précisément d'être le mieux compris possible. J'attends donc de mes interlocuteurs la même concentration et le même sérieux plutôt que de s’enflammer à la va-vite puis de jeter des réponses à peine relues.
Secondement, il me semble que vous vous trompez en voulant à tout prix définir. J'y vois là un restant d'esprit religieux émanant de l'ekklésia. Pour ce qui est du sacrifice, justement, si l'AT parvient à le définir en mode lévitique, et la philosophie ou la religion en mode éthique, la donnée existentielle du Christ rend la chose impossible par l'une des ces deux routes ou par l'équilibre entre les deux. Si ce n'est, bien sûr, d'approcher une définition en usant du mode apophatique.

Là donc était mon approche. Et de là, mon : « je dois ». Car je disais : « …je dois connaître le paradoxe… ». C'est-à-dire, qu'à propos de la Vie, le paradoxe consiste à la perdre tandis qu'elle m'est promise. Ce n'est plus ici une histoire manichéenne de savoir si Toto a raison en appelant cette perte « un gain » ou si c'est Titi qui a raison en l'appelant « une perte ». Le problème, c'est que la Vie est un Paradoxe : le paradoxe de la mort pour avoir la vie.

C'est pourquoi, dans ce leitmotiv du paradoxe, je parlais du sacrifice de la façon suivante : « …sacrifier l’Arbre de la Raison, sacrifier les réponses satisfaisantes […] accepter de n’obtenir aucune réponse satisfaisante si ce n’est le silence tonitruant de Dieu. ». Le propre du paradoxe est justement qu'il est impossible à définir ; parce qu'il est ici absolument lié à l'Existence. Il ne se résout que d'une seule manière : quand je rentre dans cette Existence. C'est-à-dire qu'il se résout, lui aussi, de façon existentielle et non raisonnable ou éthique. Cela s'appelle, disais-je encore dans mon propos : la Résurrection. – Maintenant, si ce sacrifice-là (de l'Arbre), c'est-à-dire du raisonnable, de l'éthique et du religieux, c'est pour vous « un cheveu dans la soupe », comme vous dites… Et bien, cela vous regarde David.

En aparté : Vous voyez donc que le « je dois » n'est pas obligatoirement une réponse de soumission à la Nécessité. Le « je dois entrer dans le paradoxe » (c'est-à-dire dans l'Existence), devient une réponse insoumise qui dissipe l'écran de fumée de la Nécessité… Mais, la plupart du temps : dans la douleur de celui qui donne une telle réponse ! Il est bon de lire les mots avec précision (ah que je dois, ah que je veux), certes, mais si à cela on sacrifie l'esprit qui les véhicule, on comprend alors moins, après, qu'avant.

i.o.

21. Le mercredi 8 mars 2017, 14:54 par ivsan otets

David, votre dernière réponse est allée dans les spam (ce n'est pas la première fois). Généralement cela se produit lorsqu'un post est envoyé alors que la réponse anti-spam a été incorrectement validée. Or, le serveur l'a cette fois effacé avant que nous ne le publions ; il n'est même plus dans la BDD (je suis allé voir). Je suis désolé, mais nous n'avons aucun moyen de récupérer votre dernier post, il faut le réexpédier.

amicalement, i.o.

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