Le royaume des cieux est semblable à un homme qui recherchait un monde selon son cœur. Il choisit donc dans un catalogue celui qui convenait le plus à ses valeurs morales et culturelles, puis il s’acquitta du prix du billet, prit avec lui une partie de sa richesse, et s’embarqua sur l’immense navire qui devait le conduire à bon port. Le bâtiment sur lequel il voyageait était si imposant et perfectionné que son autorité sur la mer n’était plus à faire. Il était insubmersible. Plein d’assurance, il naviguait donc avec joie, communiant avec un grand nombre d’amis qui, comme lui, se destinaient au même paradis. Une nuit, pourtant, un simple iceberg isolé sur les flots brisa le paquebot et l’entraîna par le fond. Notre homme fut cependant sauvé in extremis par une place qu’on lui fit sur un canot de sauvetage. Rentré chez lui, d’innombrables doutes l’assaillirent sur le chemin à emprunter pour rejoindre le monde selon son cœur. Il s’attela donc durant des années à l’étude et à de nombreux préparatifs de toutes sortes ; puis il entreprit par lui-même le voyage.
Son parcours fut d’abord exaltant. Il franchit de nombreuses frontières qu’il avait cru jusqu’alors impossibles à dépasser ; il foula aussi de nouvelles terres, non pas maudites comme on le lui avait enseigné lorsqu’il était isolé en mer, mais ayant au contraire toutes les senteurs de l’espérance vers laquelle il était transporté. Cependant, l’aventure devint longue et difficile, à tel point qu’il perdit au fur et à mesure une grande partie des forces mises à part pour son périple. Enfin, des circonstances malheureuses finirent par lui ôter le peu qui lui restait. Il se trouva tel un chevalier sans monture, ayant dû laisser derrière lui son armure et ses armes, ne possédant qu’une maigre bourse, un sac et un bâton. L’espoir de pouvoir continuer sa route semblait vouloir le quitter. Il était à genoux, seul avec ses pensées, à l’ombre d'un amandier. C’est à cet instant que surgit devant lui, d’on ne sait où ni comment, un fils de l’homme au regard plein de noblesse et à l’allure fort simple.
— Que fais-tu ici, l’ami ? lui dit l'étranger.
— Je cherche le monde selon mon cœur, répondit l’aventurier.
— En connais-tu le chemin ? rétorqua l’énigmatique personnage.
— J’ai toujours cru qu’il était en mon être ; de plus, ceux qui l’ont trouvé avant moi affirment qu’on rencontre toujours de l’aide au moment opportun.
— Ne sais-tu pas que le chemin est caché aux yeux de tous, mais qu’il se révèle soudain à un homme dès l’instant où il accepte sa propre impuissance à le trouver par lui-même ?
— Que ferai-je alors, mon Seigneur ? questionna le voyageur avec émoi.
— Voici, prends d’abord ce pain et cette boisson de la vigne afin de recouvrer tes forces. Tu te rendras ensuite dans cette petite vallée qu’on aperçoit au loin ; tu trouveras là une maisonnée où des frères te donneront quelque repos afin que tu poursuives ta route. Et moi je te conduirai avec fidélité par ma seule volonté, car tu t’es montré un fils, te confiant en moi seul et de tout ton être.