Les gens paranoïaques ont un dieu qui leur est propre, c’est l’Argent, le dieu des dieux ; et à ce propos, ce sont bien entendu les athées les plus paranoïaques puisque ce sont eux qui adorent l’argent avec le plus de pureté. Ils sont aussi moins coupables que quiconque envers ce dieu. Car, comme nous le savons, tout athée n’a qu’une dimension à sa vie : le Matériel. Se refusant à considérer qu’une dimension spirituelle imprègne la vie, et encore moins à la voir comme essentielle, le voilà à fonder sa vie sur la seule réussite matérielle, et donc financière. Lorsqu’il se prosterne devant les temples de la richesse, il peut dès lors se vanter sans complexe de « n’avoir qu’un seul dieu devant sa face ». Une telle intégrité avec le dieu de l’argent n’est-elle pas plutôt honorable ? Voilà des gens qui assument au moins ce pour quoi ils vivent, ce en quoi ils se confient ; ils assument en quelque sorte leur liberté. Et même si l’athée livre sa liberté à l’argent, il faut lui concéder qu’en s’agenouillant devant son dieu, et en le servant dans un harassant travail, et parfois même une morale irréprochable, il le fait fidèlement, sans partager son adoration avec une autre idole !
Tel n’est pas le cas des religieux ; ce en quoi leur infidélité n’est plus seulement charnelle, mais aussi spirituelle. Force nous est d’admettre que les athées sont plus spirituels avec l’argent que ne le sont les religieux. Leur paranoïa envers le monde religieux apparaît dès lors très légitime. Je ne parle pas seulement des anciennes arnaques catholiques, celles concernant les indulgences par exemple : « Aussitôt que l’argent résonne dans la caisse de l’Église, l’âme s’envole du Purgatoire » rapporte le moine Luther qui mit en accusation l’Église de son époque ; je veux parler ici des faits modernes où le spirituel est devenu un marché économique si élaboré qu’il rend naïf l’ancien trafic des indulgences. Les « apôtres » modernes du mensonge, avec ses guérisseurs, ses faux prophètes, ses évangélistes colons, etc. ; à la manière des Benny Hinn, Reinhard Bonnke, Kenneth Hagin, Joyce Meyer, la vierge de Lourdes et autres spectacles catholiques… sont devenus beaucoup plus subtils et rusés pour voler les foules hypnotisées. Si ce christianisme païen pouvait coter Jésus en bourse, il le ferait Bible en main et alléluia à la bouche ! Le sang du fils de l’homme a bien à leurs yeux une valeur spirituelle, de même que la thora de Moïse en avait aux yeux des religieux de l’époque du crucifié, mais l’esprit de cette valeur est financier. Que s’approche ce jour brutal où le ciel viendra piller leurs comptes en banque et détruire leurs certitudes, nous verrons bien alors s’il reste de la foi chez eux !
Devant une telle réalité, comment ne pas être indulgent envers la paranoïa des athées quand ils soupçonnent et accusent le discours spirituel d’avoir un but matériel et financier ? Si toutefois leur paranoïa tend vers l’obscurantisme, il est bon alors de les renvoyer, eux aussi, à leur propre culpabilité. L’athée voit le spirituel comme une sorte de traumatisme, aussi accepte-t-il difficilement la différence ; il a du mal à concevoir qu’il existe des hommes et des femmes dont le discours spirituel est gratuit. En bon matérialiste, tout ne doit-il pas se payer ? Peut-on concevoir d’ouvrir son cœur à longueur de journée sans en rechercher jamais un profit ? C’est pourquoi l’athée croit comme définitivement impossible qu’on puisse se moquer réellement de la réussite financière, qu’on puisse ne pas considérer le matérialisme comme vital ; une telle chose lui est inconcevable. Comment croire sérieusement en un Dieu, qui ayant tout pouvoir, donne plus d’importance à l’humilité, puis se présente finalement devant les hommes, non dans la réussite, mais dans l’échec apparent : porté par « un ânon, le petit d’une ânesse. »
Il nous faut conclure que le religieux dans son hypocrisie et l’athée dans sa paranoïa sont cousins par l’avarice. Aimant également la réussite matérielle, ils vivent d’ailleurs dans les mêmes maisons et se plaisent dans les mêmes vêtements. Quant aux rares chrétiens, leur rapport avec l’argent tient plutôt de la vie nomade. Tout cela considéré, une question reste, cette question à laquelle seule la foi peut répondre, aussi bien celle qu’ont les athées et les religieux en l’argent que celle qu’ont les nomades en une autre terre : Y a-t-il une richesse pour les âmes après leur mort ? Et si tel est le cas, comment la capitaliser ? La seule certitude est que nous aurons tous un jour la réponse à cette question. Or, n’est-ce pas précisément d’attendre cet instant qui rend le pauvre si pauvre ? Athées et religieux, en hommes perspicaces, savent d’ailleurs fort bien que la richesse ne vient pas en l’attendant.